Alors que les publicitaires et les afficheurs urbains ne voient aucun mal à exposer des corps féminins dénudés et sexualisés pour nous inciter à acheter des voitures, des fringues ou des yaourts, ils semblent être un tantinet plus frileux lorsqu'il s'agit de montrer les femmes dans ce qu'elles ont de plus authentique, sans filtre ni retouche Photoshop. La comédienne Camille Lockart en a fait l'amère expérience.
En septembre prochain, elle sera sur les planches pour la pièce "Les correspondances amoureuses de Simone de Beauvoir". Pour annoncer l'événement, une affiche représentant l'auteure du Deuxième Sexe devait être exposée dans Paris, sur les abribus, dans le métro et sur les colonnes Morris. Mais d'après Camille Lockart, JC Decaux en a décidé autrement en censurant l'affiche.
La raison ? Cette dernière utilisait la reproduction d'un cliché de Simone de Beauvoir. Pris par le photographe américain Art Shay en 1952, on y voit l'intellectuelle nue, de dos, en train de se recoiffer devant le miroir de la salle de bain. Une nudité tout sauf tapageuse, qui aurait pourtant été censurée par JC Decaux, en charge des affichages publicitaires dans la capitale.
Dans un long post publié sur Facebook le 19 juin, Camille Lockart s'insurge contre la censure arbitraire dont a victime l'affiche du spectacle dans lequel elle joue.
"Cette photographie a été prise par Art Shay en 1952. Cette femme, c'est Simone de Beauvoir. Ce n'est pas une photo volée, c'est la photographie d'une femme, remplie d'amour, de joie, de vie, qui se laisse voir, qui laisse voir son corps, parce qu'elle l'aime son corps, et que son corps est beau, parce que c'est un corps humain.
C'est la photographie d'une femme nue. De dos.
Pas l'ombre d'un téton ou d'un pubis.
Juste une belle paire de fesses charnue.
C'est la photographie qui devait servir de modèle pour l'affiche du spectacle que je joue en Septembre.
L'affiche a été violemment censurée par JC Decaux, par le métro parisien, et les colonnes Morris.
Je sors de répétition avec un goût un peu amer sur le bout de la langue, parce qu'aujourd'hui, en 2017, on censure une paire de fesses et on laisse vivre les images publicitaires vulgaires et putassières pour vendre une bagnole, un soutif, des yaourts ou un adultère sur internet."
Elle ajoute : "Chers censeurs du Moyen Âge, [...] il s'agit du derrière potelé de la femme dont nous portons la voix.
Il s'agit d'une des figures les plus brillantes de son temps, qui s'est battue pour faire entendre la parole des femmes, de toutes les femmes, qui s'est battue pour qu'on ait le droit de sortir de nos cuisines, réfléchir, voter, travailler, avoir un compte en banque, choisir ou non d'avoir des enfants, pour qu'on cesse d'être des "bonne-femmes" et qu'on soit d'abord et avant tout des êtres humains."
Liké près de 200 fois et tout autant partagé, le coup de gueule de Camilla Lockart a été massivement commenté sur les réseaux sociaux. Pourtant, affirme de son côté JC Decaux, aucune mesure de censure n'a pour le moment été prise pour l'affiche des Correspondances amoureuses de Simone de Beauvoir. Contactée par le HuffPost, la société d'affichage publicitaire a déclaré que l'affiche était "toujours en cours de consultation". "Nous devons vérifier les droits au niveau de la propriété intellectuelle et nous devons consulter l'ARPP", l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité qui doit se prononcer pour toute exposition de nudité.
Interrogée par Le Figaro, la société en charge de l'affichage dans le métro parisien Média Transports a aussi affirmé attendre l'avis de l'ARPP avant d'afficher ou non la pièce sur Simone de Beauvoir. "Il n'y a pas de censure, l'affiche suit un process tout à fait classique en ce qui concerne les images de nue, d'alcool, etc... Là, étant donné qu'il s'agit d'un personnage historique, tout à fait en lien avec la pièce de théâtre, il ne devrait pas y avoir de difficulté", a affirmé le service communication au quotidien.