Voilà une semaine jour pour jour que le scandale de la "Ligue du LOL"a éclaté au grand jour. L'affaire, qui a révélé l'existence d'un acte collectif de cyber-harcèlement via un groupe privé sur Facebook composé d'une trentaine de journalistes et communicant·es parisien·nes, secoue le microcosme des médias.
De 2009 à 2013, des jeunes blogueuses et blogueurs ou journalistes, pour la plupart des femmes, des personnes racisées et des homosexuel·les, ont subi des harcèlements répétés de la part des membres de la "Ligue".
Dévoilée vendredi 8 février par la plateforme Checknews du journal Libération, l'existence de la Ligue du LOL a conduit à la mise à pied "à titre conservatoire" de deux journalistes de la rédaction : le pigiste Vincent Glad, créateur du groupe privé Facebook, et le chef du service Web Alexandre Hervaud. D'autres membres présumés de la Ligue du LOL ont également été suspendus, comme le rédacteur en chef des Inrocks, David Doucet.
L'affaire a mis en lumière le phénomène du boys' club, ce système d'entre-soi et de cooptation principalement composé d'hommes d'hétérosexuels blancs favorisant le sexisme, la masculinité toxique et l'exclusion. Et la Ligue du LOL n'est pas un cas isolé. On a ainsi pu découvrir l'existence du groupe privé de discussion "Les Darons", animé par des journalistes de Vice ou "Radio Bière Foot", groupe de discussion privé sur Slack, sur lequel des journalistes du HuffPost insultaient leurs collègues féminines.
Le scandale de la Ligue du LOL, comme le souligne un article de Libération, "pourrait être le déclencheur d'une remise en question profonde et collective sur le sexisme et l'entre-soi qui gangrènent le milieu". La Ligue du LOL a en effet montré comment ces groupes d'hommes gravissent les échelons et se serrent les coudes en se donnant des promotions ou des CDI entre eux.
Comment Libération gère la crise de la Ligue du LOL en interne ? Va-t-il y avoir une remise en question au sein du journal ? Laurent Joffrin, directeur de la rédaction, nous répond.
Laurent Joffrin : Je suis tombé de l'armoire. Pour être franc, je ne savais même pas ce que voulait dire le terme 'boys club !'. En 2010, je me souviens d'un incident, à Libération : on m'avait appelé pour me prévenir qu'un de mes journalistes avait posté un tweet insultant. Je l'ai appelé pour lui dire qu'il devait s'excuser immédiatement.
Mais à l'époque, je n'avais aucune idée qu'il faisait partie d'un "club" ou que ce genre d'attaque était fréquente. Quand on travaille avec des gens qui nous donnent satisfaction, on part du principe qu'on leur fait confiance et donc on ne passe pas notre temps à les fliquer.
Du coup, je découvre que c'est une espèce d'entreprise collective de harcèlement, de gens 'courageux' qui s'attaquent à plus faibles qu'eux. Je trouve ça honteux.
L.J : On a prévu de faire un audit à ce sujet en faisant appel à un cabinet extérieur. Tout cela n'est pas encore bien défini, mais j'envisage de le faire dans un second temps.
Pour l'instant, je dois gérer l'affaire de la Ligue du LOL, qui est un cas un peu particulier. Je pense qu'il n'y a pas besoin d'être particulièrement vigilant pour considérer que cette affaire est inadmissible et qu'elle mérite un examen très approfondi.
L.J : Oui, et nous allons notamment ajouter une mention dans notre charte de déontologie. Nous n'allons pas dire que c'est interdit, puisqu'il y a déjà une loi dans ce sens. En revanche, nous allons nous pencher sur la question du comportement des journalistes quand ils s'expriment hors du journal, qui est une zone juridiquement grise.
Nous allons définir et rappeler des règles de retenue, afin de ne pas mettre le journal en difficulté. De mon point de vue, c'est surtout du bon sens, mais visiblement, il est nécessaire de mettre les choses noir sur blanc. Donc on va le faire.
L.J : Cela fait trois ans qu'on y travaille. On fait en sorte de recruter plus de femmes et d'engager des personnes issues de 'minorités divisées', comme on dit. Mais on a encore des progrès à faire.
Après, c'est vrai que nous n'avons pas de règles précises en ce qui concerne le recrutement et que, souvent, on passe par des gens que l'on connaît quand on choisit nos stagiaires.
Je ne dirais pas que c'est du népotisme parce que cela concerne les stages, mais c'est parfois un recrutement de proximité, étant donné qu'on en garde certain·es après. Il y a donc un effet involontaire de népotisme et je pense qu'il faut réfléchir à ça.
L.J : Tous les secteurs de la société sont touchés par le sexisme, y compris le monde du journalisme. Il faut du temps pour changer les mentalités, il faut des règles, des lois. Les lois sur la parité ont fait bouger les choses, mais cela ne suffit pas.
Une part de volontarisme est nécessaire pour que les collectivités soient plus diverses, on est obligé de prendre des mesures volontaires et donc d'aller au-delà de ce qu'on nous a demandé de faire.
Mais il ne faut pas non plus penser que l'on vit dans une société totalement archaïque, et reconnaître qu'il y a eu des progrès. En politique par exemple, on a la parité dans le gouvernement et le nombre de femmes à l'Assemblée nationale a progressé.
En l'occurrence, ce qui me surprend le plus dans la Ligue du LOL, moi qui viens d'une génération antérieure, c'est que l'incroyable sexisme de cette affaire émane de gens qui sont beaucoup plus jeunes. C'est une génération qui aurait dû se prévaloir d'une modernité. Mais visiblement, il y a des variantes.