"Célébrons le womanspread !". C'est une devise publicitaire aux grands airs de slogan politique que met à l'honneur la dernière campagne des magasins Hansa. Sur fond de musique électrisante et girl power, on voit une femme âgée et charismatique, vêtue d'élégants oripeaux (un pantalon et un veston roses), écarter progressivement les jambes sur le siège de métro qu'elle occupe. Avec une forme de douce insolence, l'inconnue aux baskets blanches fait la démonstration d'un geste polémique : le womanspreading.
Le womanspreading, c'est l'équivalent féminin du manspreading. Vous savez, cette manière qu'ont les hommes de s'accaparer toute la place dans les transports en commun - notamment par le positionnement de leurs jambes. Une façon, parfois inconsciente, de "marquer son territoire" tout en dérangeant les voyageuses alentours. C'est donc non sans irrévérence que Hansa décline cet acte au féminin, dans un spot concis et ironique.
Mais comme l'on pouvait s'en douter, ce trait d'humour hérisse bien des poils.
"Comme d'habitude, le féminisme est le pire ennemi des femmes", "Les femmes ne "womanspreadent"-elles déjà pas lorsqu'elles occupent deux sièges dans le train avec leur sac ?", "Le monde court à sa perte avec cette extinction de la féminité", "Femme dégoûtante !", "Tellement idiot", "C'est mal élevé"... Les commentaires négatifs abondent sur Twitter et témoignent d'une même indignation.
D'autres internautes jugent cela stupide de "souligner constamment les comportements "d'oppression" et les attitudes "problématiques" des hommes, puis copier ces comportements et les mettre en évidence comme étant cool et stimulants". Faut-il en conclure que les mecs n'ont pas beaucoup de dérision ? Allons donc. Amusant de constater que le sempiternel argument du "on ne peut plus rien dire !" (si apprécié par les amateurs d'humour problématique) marche tout de suite beaucoup moins bien lorsque les machos se sentent "opprimés" par une simple pub parodique, qui, précisément, singe avant tout leur nonchalance.
Les réactions des réacs n'ont pas grand-chose d'étonnant, mais tendent à faire oublier les intentions de cette campagne Hansa un brin "feminism washing" (quand les combats ou l'irrévérence féministes sont récupérés de manière opportuniste). Et que sont-elles, ces intentions ? Et bien, "rendre hommage aux femmes qui s'approprient l'espace", explique au site Résumé Paola Pellettieri, créatrice pour la Malmö Reklambyrå, l'agence publicitaire à l'origine de ce spot. Et ce faisant, rendre compte avec beaucoup de décalage d'un enjeu de société bien réel.
"Le fait que les hommes prennent toute la place dans l'espace public est tellement évident qu'on lui a même donné un nom !", déplore encore Paola Pellettieri. "Par contre, le fait que les femmes fassent de même n'est pas aussi courant. C'est ainsi qu'est née l'idée de cette campagne", achève l'interlocutrice. De quoi inciter la société suédoise à repenser la place des femmes dans l'espace public ? Pourquoi pas. Après tout, la Suède n'est jamais la dernière en terme de progressisme, qu'il s'agisse de renforcer la loi sur le consentement sexuel ou poser sur la table les questions d'égalité.
Gageons que ce spot, par-delà les esprits chagrins, puisse éveiller quelques consciences. Il ne manquera en tout cas pas de réjouir les apôtres du "womanspreading", ce geste qui, comme l'affirmait le New York Post l'an dernier, serait une forme de "puissance" qui permettrait de donner "plus de pouvoir aux femmes".