Le quotidien des vendeuses du marché de Nakawa, à Kampala, la capitale de l'Ouganda, n'est pas de tout repos. Régulièrement, au sein de ce marché d'envergure - l'un des plus grands de la capitale ougandaise - ces femmes subissent de nombreuses violences physiques et verbales. Des hommes touchent leurs poitrines, ont des gestes "déplacés", exercent une forme de pression morale à l'encontre des plus jeunes vendeuses, qui n'osent pas toujours témoigner de cette situation aux autorités locales. C'est cette réalité-là que nous dévoile un excellent autant qu'édifiant reportage du Guardian.
"La pratique [du harcèlement] a été normalisée et acceptée, comme un mode de vie", déplore à ce titre Leah Eryenyu, chercheuse à l'organisation féministe panafricaine Akina Mama Wa Afrika - qui a pour but de lutter contre le patriarcat et atteindre "l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes en Afrique". Mais pas question d'accepter ces agressions sans protester. C'est pour cela que de nombreuses mesures sont mises en oeuvre au fil des stands afin de lutter contre la violence patriarcale.
Car c'est toute une organisation solidaire que l'on observe sur ce marché. Elle vise à réprimander les clients les plus toxiques. Sur chacune des six zones du lieu se trouve une représentante chargée de recueillir les plaintes des vendeuses alentours. Elle transmet ces témoignages au chef de zone, puis au point névralgique : le comité de discipline du marché. Les hommes qui "posent des problèmes", comme le relate la vendeuse Nora Baguma au média britannique, sont emmenés au sein de ce bureau et peuvent être suspendus du marché durant une semaine ou un mois. Tout ce système est le fruit d'un organisme local : l'Institute for Social Transformation.
Chaque harceleur fait l'objet de sanctions en fonction de la gravité de ses actes. Une exclusion à durée variable pour certains. Mais aussi des amendes, allant de cinquante à cent-mille shillings ougandais. Et pour d'autres, une expulsion définitive du marché. Une mécanique sororale des plus salvatrices, et une habile manière de lutter contre le harcèlement sexuel au travail en disant : "ça suffit". C'en est trop. Si la chercheuse Leah Eryenyu s'attriste des conditions de travail des femmes en Ouganda, où les cas d'exploitation sexuelle ne sont pas rares, elle porte également un regard plein d'espoir sur l'avenir d'une société post-#MeToo. L'érudite évoque notamment les vertus d'une initiative plus récente : l'adoption d'une convention internationale visant à combattre le harcèlement sexuel en protégeant les femmes - et leurs droits - au sein des espaces publics et privés.
En attendant, les femmes du marché de Nakawa sont la preuve vivante que les citoyennes d'Ouganda "ont trouvé des espaces, en dehors des systèmes juridiques en place, afin de trouver réparation contre le harcèlement sexuel et les abus divers", se réjouit l'avocate Ougandaise Ophelia Kemigisha. Il faut savoir qu'au sein de ce vaste marché local, les serveuses sont parfois jeunes. Certaines n'ont que douze ans. Kemigisha espère à raison que de plus sérieuses mesures gouvernementales sauront ainsi prendre en compte cette réalité. C'est urgent. Car la peur doit changer de camp.