"C'est le troisième EVJF (enterrement de vie de jeune fille, ndlr) auquel je suis invitée cette année, et en toute honnêteté, je n'en peux plus". A 31 ans, Louise est en charge de rassembler les proches de son amie Elsa, qui se marie en septembre, en plus d'être conviée à deux autres événements du genre. Et les exigences de la bride-to-be, comme l'indique l'écharpe qu'elle devra porter tout le week-end, sont nombreuses.
"Elle m'a demandé l'Espagne ou le Portugal, une maison avec piscine et une jolie vue, et des activités qui, je cite, 'feront de belles photos'", nous confie-t-elle en levant les yeux au ciel. Le tout avant juillet pour ne pas empiéter sur ses vacances, mais après le mois de mai pour que le beau temps soit présent. La fenêtre est mince. "On a mis des jours à trouver une date qui convienne à toutes, et je ne vous parle pas de rentrer dans les budgets respectifs".
Au-delà du temps que requiert l'organisation pour celles qui s'y collent, c'est l'argent que devront débourser toutes les participantes en deux, trois jours, qui suscite un certain agacement - légitime et partagé, qu'on se le dise. Pour Louise et ses consoeurs d'aventure, l'enveloppe tourne déjà autour de 300 euros, "uniquement pour le logement, le transport et quelques activités". Restera à payer les consommations sur place et à se partager la part de la principale intéressée.
A l'origine, les EVJF n'avaient rien de très compliqué. "Dans les années 80, ça consistait à la rigueur en quelques verres de célébration dans un bar puis en boîte, et l'affaire était pliée", se souvient Sylvie, 62 ans, lorsqu'on lui évoque le sujet. Aujourd'hui, l'ampleur est telle qu'on est en droit de se demander : l'envie de se retrouver est-elle vraiment au coeur du dispositif ?
"Pour moi, c'est devenu un étalage de sa situation personnelle démesuré", nous répond Manon, 29 ans, qui en a vraisemblablement gros sur le coeur quand il s'agit de ce sujet épineux. "C'est sûr que passer quelques jours au soleil entre amies est toujours très agréable, mais dans ces cas-là, on a l'impression que c'est un passage obligé et surtout, la course à celle qui aura l'enterrement de vie de jeune fille le plus réussi". Et à ce jeu, les tours les plus kitschs et "instagrammables" sont de rigueur. Parce que c'est pour briller dans le virtuel que la pression est mise dans le réel ? Apparemment.
"Une fois, j'ai dû prendre un bus de nuit pendant 13 heures pour arriver au point de rendez-vous, les trains étaient en grève", se rappelle-t-elle. "Le but était de 'kidnapper' la future mariée chez elle et de l'emmener dans une maison en Italie à quelques heures de son domicile. Les témoins avaient insisté pour louer une villa avec piscine malgré nos suggestions, mais comme le budget n'était pas extensible, elle donnait directement sur un parking."
Elle poursuit : "On démarrait toutes notre vie professionnelle à l'époque, donc c'est dire si l'effort financier était conséquent, pour un résultat en plus pas idéal. Et quand bien même, la reine du week-end nous a fait une réflexion un peu piquante sur le fait qu'on ne prenait pas l'avion, donc qu'on n'allait pas assez loin". Au programme une fois (enfin) arrivée : atelier sirène et maquillage à base de paillettes, là encore "dans le seul but de s'afficher sur les réseaux". Pas franchement sa tasse de thé, mais elle a feint l'intérêt par amitié. "La future épouse devait absolument être au centre de tout, ça laissait peu de place à la découverte des autres convives", ajoute-t-elle toutefois.
Deux ans plus tard, Manon se retrouvait à louer une maison à Arcachon à 700 euros la nuit sur insistance de certaines organisatrices, "quand un week-end dans un coin un peu plus paumé mais abordable aurait été tout aussi sympa". Heureusement, nous confie-t-elle encore, l'ambiance était finalement au rendez-vous. Mais pour certain·es, ça peut vite tourner à l'horreur.
Dans une série d'articles parue sur Rue89 en 2019 et en 2020, plusieurs jeunes femmes et jeunes hommes ont témoigné de leurs expériences chaotiques en la matière.
Julie, par exemple, raconte comment l'EVJF à quatre s'est terminé en tentative d'empêcher la future mariée de peloter et d'embrasser tous les serveurs du bar, jusqu'à ce qu'une de ses amies "l'attrape par les cheveux" en lui hurlant "tu n'es qu'une salope !" Chloé se remémore du "beau-père [qui] s'effondre dans une fosse à purin" après que les proches du fiancé l'ait insultée. Inès a fini "rayée de Facebook" et de la vie de celle qu'elle était censée célébrer après un "abominable EVJF", et l'organisation d'un mariage où elle s'est sentie "corvéable à merci".
A noter cependant que, si notre article et les récits qu'il relaie ciblent quasi principalement les rassemblements autour de la mariée, les hommes ne sont pas exempts d'attitudes moisies. Aux EVG (enterrements de vie de garçon), des déboires aussi sont à déclarer.
Entre ceux qui finissent "nus dans un champ", les dépenses inutiles qui plombent le week-end, les "amitiés qui volent en éclat" ou les dérives du marié qui finit par annuler la cérémonie en rentrant du séjour, les casseroles sont tout aussi catastrophiques. Et sûrement le signe qu'il faudrait se concentrer sur le fond plutôt que la forme ?
On pourrait se dire : personne n'est obligé·e d'y aller. Pourquoi ne pas simplement refuser en évoquant ses finances, le manque de temps, l'absence totale d'enthousiasme à l'idée de passer des mini-vacances imposées avec une troupe d'inconnu·es ?
Réponse : la pression sociale, et la façon dont on a l'impression que le lien solide qui nous unissait jusque-là à la mariée ne sera prouvé que par notre présence (et notre investissement). "Plus que les soirées à l'écouter se plaindre de son mec, visiblement", ironise Louise, un peu amère après des semaines de "suggestions de la part de Madame qui virent au harcèlement".
Alors certes, au-delà du cadre, c'est la compagnie qui fait défaut. Dans chacun des exemples cités précédemment, l'enfer, c'est clairement les autres. Mais la surenchère encouragée par les réseaux sociaux contribue forcément à nouer des tensions, entre les attentes des unes et leur faisabilité par le groupe. Nos interlocutrices nous le confirment : tout aurait été plus agréable si "on s'était simplement donné rendez-vous dans un endroit chouette sans en faire des caisses, et avec un peu plus de spontanéité", affirme Manon.
"Pas de piscine à débordement, ni d'ateliers en tout genre, mais juste des copines de longue date ou de nouvelles connaissances, des discussions tard dans la nuit et des soirées arrosées - ou non - à chanter faux sur K-Maro". Camille, 30 ans, a justement comparé les deux cas de figure à deux semaines d'écart et son verdict est sans appel : "moins on en fait, mieux c'est". On tient peut-être la solution ? Encore faut-il que l'heureuse élue s'en contente.