Si vous avez pris l'habitude de régulièrement mettre en copie votre boss dans vos échanges de mails avec vos collaborateurs, voici une étude publiée dans la Harvard Business Review qui devrait vous dissuader de continuer. Selon son auteur David Cremer, professeur d'études en management à l'école de juristes de l'Université de Cambridge, abuser du champ "cc" (pour "copie carbone) a des effets pernicieux.
Même si votre but premier était d'informer votre superviseur de vos échanges et des avancées de votre travail, son effet sur les destinataires de vos e-mails serait particulièrement néfastes. Au lieu de créer de la transparence sur les échanges, il nourrit au contraire une "culture de la peur", explique le professeur Cremer qui peut, à terme, empoisonner l'environnement de travail.
Pour parvenir à cette conclusion, l'équipe de David Cremer a mené six études (mélange d'expérimentation et d'enquête) censées mesurer l'influence du champ "cc" sur la confiance des salariés. Ils ont notamment demandé à 594 travailleurs d'imaginer que leur collègue de travail avait toujours, parfois ou presque jamais mis en copie leur supérieur hiérarchique lors de leurs échanges électroniques. Ils ont ensuite mesuré le niveau de confiance qu'ils accordaient au dit collègue suivant le scénario suivi.
Il s'est avéré que plus le champ "cc" était utilisé, plus ils éprouvaient de la méfiance envers leur collègue et plus ils considéraient que la "culture de la peur" et la "faible sécurité psychologique" dominaient dans leur entreprise. Que l'expérience ait été menée auprès de travailleurs occidentaux ou chinois, le résultat est le même : tous considèrent mettre en copie le superviseur comme un acte potentiellement menaçant.
Autre constat émis par l'équipe de David Cremer : les employés à qui il a été demandé d'imaginer envoyer des e-mails où ils mettaient leur boss en copie ont tous indiqué qu'ils étaient conscients que cela réduirait le niveau de confiance du destinataire. "Cette constatation suggère que lorsque vos collègues mettent très souvent en copie votre superviseur, ils peuvent le faire de façon stratégique, car ils savent consciemment quel sera l'effet sur vous. De ce point de vue, notre constat est que les employés qui envoient des mails avec copie au manager ont toujours été désignés comme moins dignes de confiance par leurs collègues", décrit le chercheur.
Quelles conclusions tirer d'une telle expérience ? David Cremer en voit trois : la première est que la transparence totale n'est pas forcément gage d'efficacité et de collaboration entre les salariés. "Une telle perception rend les employés suspects que ce qu'ils disent ou font peut être utilisé contre eux, en particulier lorsque les superviseurs et les autorités supérieures sont inclus [dans les échanges de mails]."
Deuxièmement, poursuit le professeur, "mes résultats suggèrent que les superviseurs devraient considérer la fréquence à laquelle ils sont inclus dans la communication entre les collègues de travail, ce n'est pas seulement un problème de gestion du temps mais aussi un problème culturel. S'ils veulent éviter l'érosion de la confiance au sein de leur équipe, ils devront intervenir activement lorsqu'un membre de l'équipe a l'habitude de toujours les inclure dans les courriels. Un gestionnaire peut également choisir d'être plus proactif. Par exemple, les superviseurs peuvent clairement préciser à quel stade d'un projet il convient de les inclure dans la communication par courrier électronique."
Enfin, David Cremer met en garde les entreprises utilisant des logiciels de collaboration en équipe pour promouvoir la productivité tels que Confluence, Yammer ou Slack. "Ce type de logiciel est spécifiquement conçu pour promouvoir la qualité des relations de travail en augmentant le niveau de transparence, en particulier en incluant toutes les parties prenantes", explique-t-il. Pour éviter d'instaurer un climat de méfiance entre leurs collaborateurs, les entreprises devront prendre garde d'expliquer "leur but d'inclure l'ensemble des personnes impliquées dans un projet dans les communications autour de celui-ci, de sorte que la transparence ne soit pas perçue comme un moyen d'évaluer et de surveiller les performances et les comportements des personnes de l'équipe".