Derrière 30 discussions pour une éducation antisexiste (ed. Marabout), il y a Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet. Les deux autrices signent ici leur troisième collaboration en trois ans (après Le guide féministe de la grossesse, pour des futurs parents libres (2019, ed. Marabout) et Fille-Garçon, même éducation (2020, ed. Marabout), et livrent une fois de plus un manifeste aussi pratique que déconstruit sur la parentalité.
Comme les précédents, ce nouvel ouvrage suit leur évolution personnelle en tant que mères, et répond à une interrogation plus générale : comment injecter son féminisme dans ce qu'on inculque au quotidien à ses enfants ?
On y trouve ainsi des dialogues tirés de leur vraie vie, tenus avec leurs petit·e·s, leurs proches, le corps enseignant ou d'autres parents. Des échanges qui constituent une véritable mine d'or de pistes de réflexion et d'exemples concrets, permettant aux lecteur·rice·s avides de mode d'emploi de trouver les clés pour aborder le sexisme sous toutes ses formes - et ce tel qu'il est, encore en 2021, présent dans notre société.
On a extrait quelques passages de quatre de ces conversations retranscrites, qui aideront sans aucun doute pères et mères à mieux répliquer et décortiquer des acquis biaisés.
Premier cas d'école : Elisa Rigoulet est à l'anniversaire de son neveu, Emile. Ce jour-là, il fête ses 4 ans et va recevoir pas moins de six camions de pompier différents. Un téléguidé, un en bois, un accessoirisé d'une lance à eau avec une sirène bruyante. C'est sa mère, Louise, qui a élaboré et envoyé la liste à chacun·e des membres de la famille invité·e·s au goûter. Lorsque Elisa fait remarquer à sa belle-soeur que "ça fait beaucoup de camions de pompier", elle répond du tac au tac : "ben oui, c'est ce qu'ils aiment, on y peut rien". L'occasion de creuser sur cette association genrée.
"Oui, comme tous les enfants !", lance l'autrice. "C'est joli, ça roule et ça fait du bruit, tous les enfants sont attirés par ça. Mais leurs désirs et leurs goûts sont aussi façonnés par ce qu'on leur propose. Si on ne leur met sous le nez que des camions, forcément ils ne vont vouloir jouer qu'avec des camions. C'est à nous de diversifier leurs envies et d'aiguiser leur curiosité en leur proposant des choses différentes".
Elle liste par exemple la cuisine, à laquelle son fils, Ian, s'affaire pour nourrir ses peluches, explique-t-elle, le matériel de dessin. Ou encore suggère à Louise de proposer à la soeur d'Emile, Jeanne, de faire du hockey avec son frère. "Parce qu'elle ne sait certainement pas ce que c'est, mais si ça se trouve, elle adorerait, et surtout, c'est une façon de traiter ses enfants avec égalité".
Elisa est à un repas de famille, et son cousin parle de son propre fils, Enno, qui ne fait que "pleurnicher". Il s'exclame : "Quelle chochotte, celui-là !". Un terme que l'autrice épingle : "C'est sexiste !". On lui rétorque que non, que l'enfant est effectivement très "sensible". "Je sais très bien ce que vous voulez dire. Mais pourquoi ne le dites-vous pas simplement comme ça. Les mots ont un sens. 'Chochotte' qualifie, au féminin bien sûr, quelqu'un qui est maniéré ou qui a une sensibilité exagérée comme si cette qualité ne pouvait se prêter qu'aux filles."
Son oncle renchérit : "Mais arrête de tout relever comme ça, c'est pénible. Ce qu'il veut dire, c'est qu'Enno se plaint souvent ou pleurniche comme une fille (...)". Elisa Rigoulet, qui confie d'habitude laisser passer, lance notamment : "Pourquoi raconte-t-on à nos enfants que les filles pleurnichent plus que les garçons ?" L'assemblée répond qu'il s'agit d'habitude, ou d'expression de langage "qui ne font de mal à personne".
Elle rétorque : "C'est ça que vous ne comprenez pas, ce ne sont pas des expressions, ce sont des injustices !" Et plus loin, assure qu'il est nécessaire d'y prêter davantage attention, "en expliquant aux gens que par le langage, c'est toute une culture des genres qu'on véhicule et qu'on reproduit, ce que les filles ont le droit de faire, ce que les garçons ont le droit de faire, ce qui est acceptable d'une fille ou d'un garçon, et plus tard, alors qu'on croyait juste faire comme tout le monde, on se retrouve avec les inégalités qu'on connait entre les hommes et les femmes". Touché.
Pihla Hintikka est maman d'un petit garçon nommé Anton. A l'époque, il a presque 3 ans et joue sur un toboggan au parc, sa poupée dans les mains. Lorsqu'un parent le prend pour une petite fille, Pihla répond que son fils est un garçon. Les deux restent gêné·e·s, côte à côte devant leurs enfants qui jouent, "et se mettent à en parler pour nous".
"Les poupées, c'est pour les filles, tu sais", dit l'un. Pihla intervient : "C'est dommage de se dire que les garçons seraient privés de jouer avec une poupée ou une poussette juste parce qu'on pense que ce sont des jeux réservés aux filles, tu ne penses pas ?" L'enfant répond : "Moi j'aime bien les camions de pompier", Anton acquiesce. Une petite fille se joint à eux : "Moi, je veux être pompier quand je serai grande". "Tu peux pas être pompier si tu es une fille", coupe le petit garçon. "Si je peux !". "Non."
L'autrice se dit qu'elle ne peut pas "laisser ça là". "Vous savez, les enfants, qu'il n'y a pas de trucs de filles ou de trucs de garçons, il n'y a que des trucs. Donc si tu es une fille et que tu veux devenir pompière, tu peux, bien sûr ! Réfléchissons un peu. Qu'est-ce qu'il faut pour devenir pompier ou pompière ? Du courage de la volonté, du dévouement, de la force par exemple... Tout le monde peut avoir ces qualités, fille ou garçon. Et c'est pareil, si tu es un garçon et que tu veux jouer avec des poupées et aimer les princesses, tu peux bien sûr si tu le souhaites. Les enfants devraient toujours avoir le droit de choisir ce qu'ils ont envie de faire et à quoi ils ont envie de jouer. N'est-ce pas ?" Sans aucun doute.
Finlandaise installée à Paris depuis 2005, Pihla Hintikka écrit que dans le pays où elle est née, le genre et les inégalités sont abordés très tôt à l'école, pour tenter justement d'éradiquer ces dernières. En France, lorsqu'elle inscrit son fils Anton à la crèche, elle réalise qu'un tel programme n'existe pas, ni non plus dans la formation d'une puéricultrice qu'elle interroge. Au moment de son entrée à la maternelle, elle décide de proposer à l'institutrice quelques "pistes" à essayer avec les enfants, dérivées du modèle finlandais.
Après un début de discussion où l'enseignante insiste sur l'importance de la formation du personnel plutôt que d'intégrer ces notions dans l'éducation des élèves, Pihla donne un exemple précis : un camarade d'Anton a été moqué dans sa classe car il portait un pantalon rose. La maîtresse affirme ne pas en avoir eu connaissance et vouloir effectivement en parler avec les enfants. Elle demande à en savoir davantage sur les exercices.
Parmi eux, Pihla évoque qu'elle pourrait prendre quelques chansons ou histoires connues de tou·te·s et "observer avec eux si le personnage principal est un garçon ou une fille, comprendre sa place, les interactions entre les personnages masculins et féminins et la valorisation des uns et des autres". Un peu "philosophique" estime son interlocutrice qui reste toutefois intéressée.
Quand l'autrice en mentionne un autre, plus ludique et basé sur les stéréotypes, l'institutrice craint que cela ne soit trop compliqué. "Ils sont jeunes quand même", sous-entendu pour parler d'égalité, "mais je vais réfléchir". Pihla n'en démord pas et elle a raison : l'enseignante accepte finalement qu'elle amène quelques livres antisexistes pour les utiliser avec ses élèves. La preuve qu'en discutant, les changements s'opèrent réellement.
A la fin du guide, les écrivaines concluent notamment : "En parler permet [aux enfants] de grandir plus libres, au-delà des goûts, des choix et des comportements que nous leur assignons au regard de leur genre". Et forcément, de bâtir une société plus juste. Alors, il n'y a plus qu'à.
30 discussions pour une éducation antisexiste, de Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet, ed. Marabout. 207 p. 5 euros