"J'ai toujours eu peur des aiguilles", avoue Alice Morgan, 27 ans, professeure de danse dans le nord de Londres. "Je me revois, toute petite, hurler et chercher à m'enfuir du cabinet médical, mais j'ignore d'où ça vient".
Alice Morgan vit avec la phobie des aiguilles (également connue sous le nom de bélonéphobie), une peur panique des piqûres qui la laisse tremblante et à bout de souffle. "J'ai du mal à respirer et je suis incapable de refouler l'angoisse qui monte", explique-t-elle. "Je n'ai plus aucune pensée rationnelle. J'ai chaud, la tête qui tourne, comme si j'allais m'évanouir".
Difficile de savoir, en France, combien de personnes sont concernées par cette peur, parmi les 6 millions de phobiques. Ce qui est sûr, c'est que la vaccination s'accélère. 10 millions de personnes ont reçu une première dose, a annoncé jeudi 8 avril Jean Castex.
Au Royaume-Uni, on estime qu'une personne sur dix a la phobie des aiguilles. Autrement dit, parmi les plus de 20 millions de personnes ayant reçu leur première dose du vaccin contre le Covid-19 de l'autre côté de la Manche, ce sont 2 millions de phobiques qui ont eu droit à leur piqûre. Et ceux qui ne l'ont pas fait se demandent avec angoisse s'ils en seront capables.
Alice Morgan, qui dirige un groupe de soutien aux personnes âgées, a eu sa première dose. "J'étais plutôt enthousiaste à l'idée de le faire si tôt et de marquer l'histoire", déclare-t-elle. Mais, la veille au soir, la peur s'est installée. "Imaginer ce qui allait se passer m'a empêchée de dormir", confesse-t-elle. "De toute façon, je dors mal depuis la pandémie mais, là, j'ai passé la nuit à m'inquiéter"
Les phobies sont un mécanisme d'adaptation. Il s'agit souvent d'une projection à partir d'une expérience vécue ou de celle de quelqu'un d'autre, à en croire Natasha Crowe, psychothérapeute et hypnothérapeute. "On passe en mode combat ou fuite, le corps se met à réagir, à la recherche de la menace qui peut prendre la forme d'une aiguille", note-t-elle.
Pour ne rien arranger, il est très difficile d'échapper aux conversations sur les piqûres en ces temps où le vaccin contre le Covid-19 occupe le devant de la scène.
Le docteur Robin Bon, 42 ans, qui pratique à Leeds, a peur des aiguilles depuis qu'il a neuf ans, au point qu'il évite autant que possible les injections et les prises de sang. Quand il y est confronté, il a la nausée, des suées et la tête qui tourne. "J'en suis à regarder ailleurs s'il y a des aiguilles à la télé et me sentir mal quand j'entends parler de phlébotomie", confie ce professeur agrégé de biologie chimique à l'institut de médecine cardiovasculaire et métabolique de l'université de Leeds.
"Le fait que je travaille dans un institut de recherche cardiovasculaire et que je sois exposé à plus d'images et d'informations sur ce sujet m'a un peu désensibilisé", ajoute-t-il. "Mais j'ai passé au moins dix fois une vidéo de canulation ces dernières années pour les travaux dirigés de mes étudiants et jusqu'à présent, j'ai toujours réussi à éviter de regarder le moment où l'aiguille s'enfonce."
Malgré cette peur, il était content qu'on l'appelle pour se faire vacciner. Il est important qu'il soit protégé dans la mesure où sa femme et lui s'occupent de leur fils qui a des besoins spécifiques complexes. "On n'a personne d'autre pour s'occuper de lui, alors je ne sais pas ce qu'on ferait si on tombait malades", explique-t-il.
Le jour de la piqûre, il a demandé à l'infirmière de ne pas lui montrer l'aiguille ni la procédure, et ses enfants l'ont distrait. C'était "pas grand-chose", dit-il, "peut-être un peu plus intense que le vaccin contre la grippe".
Alors, comment vous en sortir si vous êtes dans la même situation qu'Alice Morgan et Robin Bon? La bonne nouvelle, c'est qu'il est possible de surmonter et gérer sa phobie des aiguilles. Par ailleurs, un vaccin contre le coronavirus en spray nasal est en cours d'élaboration. Déjà testé avec succès sur des animaux, il le sera bientôt sur l'homme.
Le Dr Bon, lui, a choisi de peser le pour et le contre. "Sans le vaccin, ma famille ou moi-même risquons de tomber malades et d'être confrontés à une quantité bien plus importante d'aiguilles et de procédures", déclare-t-il. L'idée de finir à l'hôpital avec toutes les procédures que le coronavirus implique est bien plus effrayante que de se faire vacciner, ajoute-t-il.
Pour Alice Morgan, il s'agissait de limiter son exposition à des images du vaccin. Elle a également appelé une amie pendant le trajet d'une heure en bus jusqu'au centre de vaccination, ce qui l'a aidée à se calmer. "Au centre, l'organisation était formidable", souligne-t-elle. "Les bénévoles et tout le personnel se sont montrés très amicaux et compréhensifs, tout le contraire des professionnels de santé rencontrés à d'autres occasions".
"Ils m'ont tous fait remarquer à quel point c'était remarquable de me confronter à une telle phobie, ce que personne ne m'avait jamais dit".
Certains points ont néanmoins exacerbé sa phobie : se retrouver dans un centre de vaccination, c'était prendre conscience qu'il y avait beaucoup d'aiguilles au même endroit. Les cabines étaient entourées de rideaux, mais le fait de voir entre les interstices l'a fait paniquer. "Dès que c'était terminé, je me suis sentie parfaitement bien. La panique et la peur ont disparu", constate-t-elle. Elle a attendu encore un peu, le personnel ayant peur qu'elle s'évanouisse. Quand la peur survient, le rythme cardiaque et la tension artérielle augmentent, avant de chuter brusquement. C'est cette chute de la pression sanguine qui provoque l'évanouissement.
Maintenant qu'elle sait à quoi s'attendre, elle prévoit de s'équiper d'écouteurs et de musique pour la seconde dose. "Je vais aussi m'assurer d'avoir mangé et bu avant pour réduire le risque de tomber dans les pommes", ajoute-t-elle.