Santé
Pourquoi me faire vacciner, comment ça marche, quels risques : le guide du vaccin anti-Covid
Publié le 22 janvier 2021 à 11:36
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Alors que les premières injections sont distribuées aux soignant·e·s et résident·e·s d'Ehpad, on a posé quelques questions concrètes au Dr Pierre Demolis, médecin et conseiller scientifique Europe à l'ANSM. Recul, ARN messager, efficacité, contagion : il nous répond.
Se faire vacciner contre le coronavirus Se faire vacciner contre le coronavirus© Adobe Stock
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Le 27 décembre dernier, la France administrait son premier vaccin contre le Covid-19, mis au point par Pfizer-BioNTech. L'espoir, pour beaucoup, de reprendre une vie normale et de mettre fin à une pandémie coriace qui paralyse le pays depuis mars.

Dans les sondages cependant, au même moment, les Français·e·s exprimaient leurs craintes face à une injection dont ils·elles estimaient avoir peu de recul. 42 % assuraient même ne pas vouloir se faire vacciner. Aujourd'hui, alors que 823 567 personnes ont reçu au moins l'une des deux doses nécessaires, la proportion connaît un revirement colossal, avec 56 % des interrogé·e·s désormais prêt·e·s à passer le pas. De son côté, le gouvernement vise l'objectif de vacciner l'ensemble de la population d'ici fin août.

Quelques questions, techniques et pratiques, subsistent toutefois : a-t-on vraiment si peu de recul ? Dois-je me faire vacciner si je suis jeune et en bonne santé ? Que signifient les termes "ARN messager" et "efficace à 95 %" que l'on lit partout ? A quoi sert le vaccin, exactement, si l'on n'est pas sûr·e qu'il protège de la contagion ?

Pour y répondre, on a contacté le Dr Pierre Demolis, médecin et conseiller scientifique Europe auprès de la Direction Générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Un établissement public qui a pour mission principale d'évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments et produits de santé destinés à l'être humain. Et donc, des formules Pfizer-BioNTech et Moderna, pour l'instant seules disponibles sur le marché français. Il nous éclaire sur plusieurs points.

Terrafemina : Que signifie "efficace à 95 %" exactement ?

Dr Pierre Demolis : C'est assez simple. Le principe de l'essai clinique est de prendre une population, puis de la partager en deux par tirage au sort. Soit le patient reçoit un vaccin, soit un placebo. On les surveille le temps que va durer l'essai, ici 120 jours, et à la fin, on compte combien de personnes ont attrapé le Covid-19 dans chacun des deux groupes déterminés.

Par exemple, si le groupe "placebo" présente 95 infections au Covid-19, et que le groupe "vacciné" en présente 5, on estime alors que le vaccin est efficace à 95 %. Pour le vaccin Pfizer-BioNTech, les chiffres exacts étaient de 9 infectés dans le groupe "vaccin", et de 172 dans le groupe "placebo", ce qui donne une efficacité à 94,8 %. Pour le vaccin Moderna, c'est pratiquement pareil.

Il est important de souligner que ce chiffre est énorme, puisque dans un vaccin classique, comme celui de la grippe ou du ROR par exemple, si on obtient une efficacité située entre 50 et 60 %, on est déjà très satisfaits. D'habitude, on observe aussi que si les vaccins marchent très bien chez les gens jeunes, c'est moins le cas chez les personnes âgées - avec une efficacité qui passe de 60 % à 35 %. Là, on a remarqué une petite baisse avec l'âge qui est vraiment beaucoup moins importante qu'à l'accoutumée sur un nombre limité de patients. Ce vaccin fonctionnerait donc particulièrement bien avec les patients âgés.

Le recours à l'ARN messager dans un vaccin est-il inédit ?

Dr P. D. : Ce n'est pas une technologie complètement inédite, mais c'est la première fois qu'elle fonctionne sur des patients à une échelle de grande ampleur. On avait déjà essayé de développer des vaccins sur le même principe, seulement l'ARN messager est extrêmement fragile et instable chimiquement, et surtout immédiatement attaqué par l'immunité des individus auxquels on l'injecte. Toute l'astuce ici a été de protéger l'ARN suffisamment pour qu'il ne soit pas immédiatement agressé.

L'originalité réside également dans le fait que, normalement, quand on vaccine, on administre à l'individu des antigènes qui sont des parties de l'agent infectieux, des débris. En espérant que ces débris vont provoquer une réponse immunitaire et que l'individu va les reconnaître, afin qu'il se défende et empêche le vrai virus d'évoluer lorsqu'il se présentera. Il y a plusieurs façons de présenter cet antigène, mais dans tous les cas l'idée est la même : l'injecter pour que l'individu se défende. Là, grâce à l'ARN messager, l'idée est de faire fabriquer le vaccin à la personne vaccinée.

Comment fonctionne cette technologie ?

Dr P. D. : L'ARN messager est comme une recette de cuisine. Recette de cuisine que l'on extrait d'un code génétique (ADN) et dont on traduit un fragment an ARN afin de fabriquer une enzyme, la paroi d'un globule rouge, de l'insuline... Celui présent dans le vaccin contre le Covid-19 présente à notre organisme la recette de cuisine du virus, mais ce n'est pas le virus entier. On injecte juste le recette d'un de ses composants, la protéine S (ou protéine Spike), qui est une protéine non pathogène dont le Covid-19 se sert pour pénétrer dans nos cellules. C'est une protéine qui, si on la bloque, empêchera le virus de pénétrer.

On crée donc l'ARN de la protéine S, dont le virus se sert afin que notre organisme la fabrique à sa place. Et en injectant cette protéine, des cellules se mettent à la reproduire de la même façon que s'il s'agissait du virus. Ce qui va se passer ensuite, c'est que l'individu se met à fabriquer lui-même l'antigène mais pas le virus en entier.

Donc l'antigène (la protéine S) ne se trouve pas dans le vaccin, c'est nous-même qui le concevons. Cela explique qu'il puisse y avoir des réactions, un peu de fièvre... car c'est tout de même une agression immunologique. Mais la réaction immunitaire est assez pure et rapide, et c'est probablement pour cela que ça marche aussi bien.

Y a-t-il plus d'effets secondaires sur ce vaccin que sur des vaccins dits "classiques" ?

Dr P. D. : Cela dépend des vaccins. Il y a des vaccins réactogènes, d'autres qui le sont moins. En général, avec le vaccin contre la grippe par exemple, certaines personnes ont un peu de fièvre, mais c'est rare. A l'autre extrémité il y a le vaccin contre la typhoïde où les individus auxquels on l'injecte ressentent presque constamment une gêne au point de se retrouver parfois au lit pendant 24 heures, et puis ça passe.

Là, on est entre les deux. C'est très fréquent que les individus aient un peu de fièvre et se sentent patraque pendant deux-trois jours, et puis ça passe aussi. Il y a certes eu des effets indésirables sur les personnes allergiques. Quand les gens se savent allergiques de façon grave, la prudence est donc plutôt de les vacciner en milieu hospitalier pour bien les surveiller.

En France, la proportion de personnes souhaitant se faire vacciner est passée de 42 à 56 %. © Adobe Stock
Je suis jeune et a priori pas "à risque" : pourquoi devrais-je me faire vacciner ?

Dr P. D. : Il y a deux raisons. La première, c'est le bénéfice individuel. Si on vaccine les gens pour les protéger eux, et qu'on ne s'occupe pas des autres, on peut effectivement se demander pourquoi aller se faire vacciner quand on a trente ans et qu'on ne risque ni de mourir, ni de finir en réanimation.

Mais je vais prendre l'exemple de la grippe. Quand on a 30 ans, si on attrape la grippe c'est là aussi très rare de mourir ou de finir en réanimation. N'empêche qu'il est bien de se faire vacciner car il n'y a rien de plus pénible que de passer cinq jours au lit avec de la fièvre et d'en ressortir épuisé, ce qui arrive chez les gens jeunes pour la grippe comme pour le Covid-19. De plus, dans le second cas, il y a des personnes qui traînent une fatigue chronique, ainsi que des complications sérieuses. On ne le fait donc peut-être pas pour éviter de mourir, mais au moins pour éviter de tomber malade de façon très désagréable.

Ensuite, un autre argument dont nous ne sommes pas encore certains : on se fait vacciner pour éviter de contaminer les autres. Si on fait un barrage y compris chez les gens qui n'ont pas un besoin immédiat de la vaccination, ce barrage va prévenir la maladie chez tout le monde y compris chez des gens qui ont des chances de déclencher une forme grave de la maladie, mais ne peuvent pas être vaccinés. A titre d'exemple, on peut citer la rougeole. On pense en effet que, parce que beaucoup de gens ne se sont pas fait vacciner ces dernières années, la rougeole est en train de revenir en force dans les pays occidentaux.

A-t-on la preuve que la vaccination empêche d'être contagieux·se ?

Dr P. D. : On ne l'a pas encore pour l'instant, ce qui ne veut pas dire qu'on a la preuve qu'il ne l'empêche pas. On a quand même des indices que cela protégerait contre la contagion. C'est probable mais pas confirmé. Quand viendra le tour de vacciner les gens jeunes, on en saura davantage.

A quoi sert le vaccin exactement, si l'on n'est pas encore sûr qu'il protège contre la contagion ?

Dr P. D. : Il sert à se protéger soi-même. Il diminue la probabilité d'être infecté, ainsi que la sévérité de l'infection.

Combien de temps est-il efficace ?

Dr P. D. : On peut promettre une efficacité sur trois mois. Un an paraît vraisemblable. On a l'impression que, lorsque l'on injecte le vaccin, il y a une réponse immunitaire qui met du temps à se construire. C'est pour cela qu'on fait le rappel au bout de deux-trois semaines, le temps que la mémoire s'installe. L'immunité progresse après le vaccin, et les gens sont encore très immunisés quelques semaines après l'injection.

Ensuite, ça dégringole assez lentement. Pour l'instant, on n'a pas plus de recul que les patients les plus anciens qui ont été vaccinés, mais on peut espérer raisonnablement que cela protège au moins un an, probablement plus. S'il faut se refaire vacciner tous les ans comme la grippe, ce n'est pas grand-chose.

Que répondre à ceux qui estiment que l'on n'a pas assez de recul sur ce vaccin ?

Dr P. D. : Je ne dirais pas que nous n'avons "pas assez" de recul, mais plutôt "pas beaucoup". C'est ce qui se passe avec tous les nouveaux médicaments. Si nous avions le choix entre un vaccin qui est sur le marché depuis dix ans et un nouveau vaccin, on prescrirait certainement le plus vieux des deux, par prudence. Mais là, en l'occurrence, nous n'avons rien d'ancien. C'est pourquoi il faut réfléchir : que risque-t-on et que gagne-t-on ?

S'il s'agit de vacciner une personne qui est dans un Ehpad, je sais ce qu'elle risque et je pense que le risque du vaccin, même sans grand recul, montre qu'il vaut mieux être vacciné que pas vacciné. Plus le risque est important d'attraper la maladie, plus je suis certain de ce que je dis. Le recul est déjà suffisant pour dire qu'à 80 ans, il faut se faire vacciner sans attendre.

De plus, la plupart des effets indésirables graves et immédiats des vaccins apparaissent dans les quinze jours qui suivent. Donc sur ce point-là, nous avons déjà assez de recul. Ce qu'on craint à long terme ce sont des maladies auto-immunes, des maladies très rares qui ont été évoquées pour certains vaccins. Mais si on calcule la rareté de ces éventuels effets indésirables, se faire vacciner reste moins dangereux que la maladie. Même chez les jeunes.

Et puis, on n'a certes pas beaucoup de recul sur les vaccins, mais on n'a pas beaucoup de recul non plus sur le Covid-19. Peut-être est-on en train de protéger les gens contre des séquelles à dix ans dont on n'a pas encore idée. On peut tenir le même discours sur le vaccin que sur le virus, mais je préfère personnellement être l'ami du vaccin que l'ami du virus.

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