Des filles seins nus, se frottant nonchalamment contre Robin Thicke, Pharrell Williams et T.I, habillés de costumes noirs. Et des paroles franchement limites où l'on évoque une "gentille fille" et ce "I know you want it" ("Je sais que tu en as envie") scandé tout au long d'une chanson qui s'est écoulée à 6,5 millions d'exemplaires en 2013, soit le plus gros tube de l'année.
Dès sa sortie, le hit Blurred Lines a fait tiquer. La blogueuse américaine avait lancé les hostilités en dénonçant sur son site Feminist in LA ("Féministe à Los Angeles") : "Cette chanson est dégoûtante même si elle est, il faut le reconnaître, très entraînante", ajoutant que "la phrase 'I know you want it' n'évoque pas franchement la notion de consentement à l'activité sexuelle". Le single polémique avait même gagné ses galons de "chanson la plus controversée de la décennie", attribué par The Guardian.
Le clip, qui mettait en scène une sorte de paradis patriarcal éthéré où des femmes-objets topless se dandinaient aux côtés des trois chanteurs, avait également été vivement critiqué (et remplacé par une version un poil plus soft).
Si le chanteur Robin Thicke avait défendu ses "lignes floues", poussant même la mauvaise foi jusqu'à avancer que son tube était "un mouvement féministe", son copain Pharrell Williams avait fait profil bas, tout en tentant de se défendre piteusement de tout sexisme. Un an après la sortie du hit, il se justifiait auprès de Pitchfork :
"Qu'est-ce qui est controversé à ce propos ? Dans Blurred Lines, les paroles de Robin Thicke sont 'You don't need no papers' ('Tu n'es pas une possession'). 'That man is not your maker' (il n'est pas Dieu). (...) Ce que j'essayais de dire, c'était 'Ce mec essaye de te domestiquer, mais tu n'as pas besoin de papiers – laisse-moi te libérer'." Mouais. Ou pas.
Mais il semblerait que le faiseur de tubes planétaires ait enfin mûri et assimilé (#MeToo oblige ?) que oui, Blurred Lines n'était peut-être pas forcément du meilleur goût. Lors d'une interview au magazine GQ consacré aux "nouvelles masculinités", Pharrell fait donc amende honorable : "Je n'ai pas compris au départ. Il y a des femmes qui aiment vraiment la chanson. (...) Et 'I know you want it', des femmes chantent ce genre de paroles tout le temps. Alors, je me disais : "En quoi cela concerne la culture du viol ?"
"Je crois que Blurred Lines m'a ouvert les yeux. Je me suis rendu compte que des hommes parlent ainsi lorsqu'ils profitent d'une femme. Mon esprit a alors compris ce que la chanson voulait réellement dire, et comment elle pouvait affecter celles et ceux qui l'écoutent. J'ai pris conscience que nous vivions dans une société machiste. Je ne l'avais pas compris avant, ni que certaines de mes chansons contribuaient à ce monde machiste. Cela m'a complètement bouleversé...."
Car à l'ère post-#MeToo, ces paroles fleurant la culture du viol vieillissent encore plus mal. "Je suis né à une époque différente dans laquelle les règles autorisaient beaucoup de choses qui ne pourraient jamais se faire aujourd'hui. Des pubs qui objectifient les femmes, le contenu des chansons... Je ne pourrais pas écrire ou chanter certaines de mes vieilles chansons, je serais embarrassé. Il a juste fallu du temps et de la maturité pour arriver à ce stade-là." Faute avouée, à moitié pardonnée ?