Un simple briquet ou des fausses clés de voiture. Avec la miniaturisation, le moindre objet peut maintenant abriter une petite caméra espion. A cause de ce nouveau phénomène high tech, la Corée du Sud fait face à une véritable épidémie de porno filmé avec des caméras espions. Il y aurait en moyenne 6000 cas par an depuis 2013 selon la police et l'immense majorité des victimes sont des femmes (30 000 agresseurs hommes ont été appréhendés par la police contre 523 femmes entre 2013 et 2017).
Les histoires s'accumulent, comme celle d'un pasteur qui a été pris en train de filmer sous les jupes des filles en montant un escalator. Deux nageurs de l'équipe nationale avait aussi installé une caméra dans les douches des filles en 2016. Un obstétricien a lui fini en prison pour avoir filmé à leur insu des patientes et des infirmières avant de les publier sur internet.
Comme l'explique Chang Dahye, chercheur à l'institut coréen de criminologie à Korean Exposé : "Ce ne sont pas juste des images de relations sexuelles. Il y a des vidéos de femmes qui font pipi aux toilettes ; des photos de femmes en bikini, à la maison, marchant dans la rue. Sur un site [fermé en 2016], des hommes mettent en ligne des photographies de leur petite amie ou de leur femme, demandant aux autres de noter leur partie génitale".
De quoi devenir complètement parano, dans le taxi, à la piscine, dans le métro, aux toilettes. Selon la Korean Women Lawyers Association, 89 % des cas sont perpétrés par des étrangers, les 11 % restants le sont par des connaissances.
Le phénomène est tel qu'à partir de l'été 2016, la mairie de Séoul a demandé à 50 agentes d'inspecter les toilettes publiques pour débusquer ce qu'on appelle les "molka". Le mot désigne à la fois la caméra espion et les vidéos de ce type postées sur internet. Pareil dans le métro où 80 policiers ont été dépêchés.
Les molka sont vues par les hommes, et selon l'activiste fondatrice de l'ONG Digital Sexual Crime Out, Ha Yena, comme plus "naturelles" que le porno filmé dans des studios. Ha Yena a elle-même été victime de cette pratique alors qu'elle dormait dans un hôtel. Un homme a tenté de la filmer dans son lit la nuit. Après avoir essayé de le courser sans succès, elle a appelé la police. La première question qu'on lui a posé ? Si elle avait bien fermé la porte.
En mai dernier, c'est l'arrestation d'une femme qui a mis le feu aux poudres. Elle a été accusée par la police d'avoir filmé un modèle de nu à l'université de Hongik à Séoul à son insu. La police la retrouve et l'arrête mais surtout la présente au public. Il n'en a pas fallu moins pour déclencher une première manifestation le 19 mai qui a réuni 10 000 femmes, puis une seconde le 9 juin qui a fait descendre 22 000 femmes dans la rue.
Des femmes se sont fait couper les cheveux en public, signe ultime de protestation en Corée du Sud. Ce fut ainsi la plus grande manifestations de femmes de l'Histoire de la Corée du Sud. Elle a été appelée "le courage de se sentir inconfortable" alors que la honte pour les victimes est très grande. Les visages des participantes de ces manifestations ont même été floutées par les médias par peur des représailles.
Ces manifestantes reprochent à la police coréenne d'aller plus vite dans leur enquête quand il s'agit d'une femme qui a filmé plutôt que quand il s'agit d'un homme. Le problème de la loi actuelle est aussi qu'elle définit mal cette agression. Si on ne voit pas de partie génitale, la vidéo n'est pas traitée par la police. Or, dans beaucoup de ces vidéos, d'une part les victimes ne sont pas identifiables et d'autre part elles les montrent parfois totalement habillées. Il n'en reste pas moins que les vidéos ont été prises à leur insu.
Le nombre d'agressions de ce type a augmenté de 800 % en dix ans et il représenterait un délit sexuel sur quatre selon la Korean Women Lawyers Association. Et les conséquences pour les femmes victimes peuvent être graves. Si la plupart ne le savent même pas, celles qui découvrent qu'elles ont été filmées quittent leur travail, se font faire de la chirurgie esthétique ou même se suicident de honte.
Une pétition en ligne qui a recueilli près de 210 000 signatures demande au président coréen de réagir. Le gouvernement a proposé des mesures : réguler la vente de caméras, un numéro d'aide aux victimes plus efficace et des peines plus importante contre ceux qui les produisent et ceux qui les hébergent. Mais quand seront-elles mises en place ?