De nombreux enfants ont un ami imaginaire. A quoi sert-il et comment réagir lorsque notre bambin se lie soudainement d'amitié avec un être tout droit sorti de son esprit ? Le pédopsychiatre Rafi Kojayan nous répond.
Rafi Kojayan : C'est généralement vers l'âge de 3 ans que survient cet ami fictif, au moment où l'enfant s'ouvre au langage et à l'imagination. La tranche d'âge des 5 à 7 ans compte le plus d'enfants s'inventant un ami. Phénomène plus rare chez les ados mais qui existe néanmoins, il est exceptionnel chez les adultes.
R.K. : La plupart du temps, ce compagnon est invisible, l'enfant est donc le seul à le voir, à savoir quelle taille il fait et peut s'amuser à jouer la-dessus. Les petits qui considèrent leur peluche comme un ami imaginaire extrapolent donc cette notion puisque le propre de l'ami imaginaire, c'est d'être invisible.
R.K. : Non, c'est culturellement dépendant, cela varie selon les pays et la place que l'on accorde à l'enfant au sein de la société. Aux Etats-Unis, où des études ont été menées auprès d'enfants âgés de 7 ans, 65 % d'entre eux ont déclaré avoir eu un ami imaginaire. Les rejetons des pays anglo-saxons en semblent particulièrement friands et c'est sans doute lié au fait que ces copain fictifs soient considérés là-bas comme participant au bon développement cognitif de l'enfant. C'est d'ailleurs un sujet très présent dans la culture américaine (séries tv, films, etc.).
La place de cet ami est plus contestée dans d'autres pays, et notamment en Europe, où les spécialistes ne sont pas toujours d'accord sur le fait que ce soit dans l'ordre des choses, certains jugeant qu'il serait révélateur de troubles psychologiques. A contrario, ce concept est inexistant dans les pays africains, tous comme les enfants n'ont pas non plus de doudou. Le doudou est lui aussi un concept occidental, il n'existe pas dans tous les pays et, même dans les pays occidentaux, on considère que seul 1 enfant sur 2 en a un.
R.K. : C'est une sorte de doudou imaginaire pour l'enfant. Le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott a travaillé sur l'intérêt de l'objet transitionnel que constitue le doudou chez les jeunes enfants. Celui-ci leur permet de mieux vivre la séparation maternelle et familiale. Il agit alors comme un confident l'aidant à dépasser ses angoisses, ses craintes. L'enfant va notamment avoir tendance à emmener son ami imaginaire avec lui lorsqu'il part chez ses grands-parents, s'il doit se rendre à l'hôpital ou s'il a envie d'aller aux toilettes en pleine nuit. C'est un compagnon rassurant, sécurisant.
Tout comme le doudou, l'ami imaginaire participe à la créativité de l'enfant au même titre que les mensonges (survenant à peu près au même âge). La présence d'un compagnon fictif apparaît également à la période où l'enfant se met à dire "non" à sa famille, une autre façon pour lui de s'affirmer.
R.K. : Il faut jouer le jeu tout en instaurant un cadre afin que cet ami ne devienne pas trop envahissant. On peut par exemple accepter de lui laisser une place dans la voiture ou déposer une assiette pour lui sur la table, mais si l'enfant se met à refuser de manger ou de prendre son bain sous prétexte que son "ami" le lui a déconseillé, il faut réagir en lui expliquant que son copain invisible peut bien faire ce qu'il lui chante mais, pour le reste, c'est nous qui décidons. Cet ami ne doit pas avoir d'impact négatif sur le comportement et l'obéissance de l'enfant à l'égard de ses parents.
R.K. : Si l'enfant se tourne soudainement vers un ami imaginaire en cas d'événement traumatique tels qu'un déménagement ou un changement d'école, cela peut être révélateur d'un sentiment d'angoisse et d'insécurité. De même, lorsque cet "ami" survient sur le tard, vers l'âge de 6 ou 7 ans, il peut s'agir d'un signal d'alarme révélant des problèmes de l'enfant dans sa vie (moqueries, harcèlement à l'école, etc.).
Parmi les principaux motifs de consultation concernant les amis imaginaires, il y a les parents qui ont le sentiment d'avoir tout essayé, d'être paumés face à cet ami fictif devenu trop envahissant. L'appui d'un spécialiste les aide à savoir comment bien réagir. Enfin, lorsque celui-ci survient alors que l'enfant est un peu plus grand, on va chercher la cause de cette anxiété poussant l'enfant à se créer un allié virtuel. Mais, la plupart du temps, cet ami intervenant dans la vie des enfants ne cause aucun problème et disparaît aussi discrètement qu'il est apparu.