HER est sur le marché depuis 2015 seulement (2018 en France) et déjà, 7 millions d'abonné·e·s présentes dans 113 pays swipent régulièrement sur la plateforme. Ce qui fait son succès, au-delà d'une campagne pub léchée et alléchante, c'est de proposer un espace unique réellement imaginé pour son audience : les lesbiennes, bisexuel·le·s, personnes queer, non-binaires, de genres non-conformes et personnes trans.
Des fonctionnalités adaptées aux envies et besoins de celleux qui ne se retrouvent pas sur les applis mainstream. Tinder, Happn, Bumble : autant de lieux digitaux qui ont du mal à se détacher d'un male gaze excluant et oppressant, déplore sa fondatrice Robyn Exton.
La Britannique expatriée aux US nous reçoit via Zoom un matin de tempête de neige texane. A Paris, c'est déjà le crépuscule. Lors d'un long échange par écrans interposés, on revient sur ce qui l'a motivée à se lancer dans l'entreprenariat, à investir la scène de l'e-dating et plus particulièrement, à consacrer son projet ô combien nécessaire à une communauté qui est aussi la sienne. Entre anecdotes perso, conseils de pro et déclic arrosé, la femme d'affaires se livre avec passion. Entretien.
Robyn Exton : Avant HER, je travaillais dans une agence de stratégie de marques, je réfléchissais à différentes opportunités commerciales. L'un de mes clients était une entreprise de dating, et ils cherchaient de nouveaux concepts. L'n de mes amis s'est retrouvé comme moi sur le projet. Il était gay et j'étais moi-même en train de découvrir ma sexualité et de commencer à sortir avec des femmes, j'étais obsédée par tout ce qui touchait à la culture gay et queer - on parle de "pink haze" en anglais.
J'utilisais un site web de rencontres pour lesbiennes au Royaume-Uni et c'était terrible : l'interface était clairement conçue pour les hommes, beaucoup de profils étaient faux. Il n'y avait tout simplement pas une seule chose qui était réellement destinée aux femmes ou à ce à quoi ma vie ressemblait à l'époque. J'allais dans des clubs très cool et je sentais que je faisais partie de cette communauté très influente avec beaucoup d'artistes, de designers, de créateurs, et quand je regardais la technologie et les médias, rien ne reflétait ce que je vivais.
R. E. : Je pense que j'en tire autant le meilleur que le pire. Pour ce qui est du meilleur, comme j'appartenais à la fois à une minorité et au milieu de la tech, j'ai découvert différentes communautés, des communautés de femmes fondatrices très fortes par exemple, dont mes amies les plus proches font aujourd'hui partie. Et puis côté queer, des communautés qui aident les personnes gays de l'industrie à se connecter les unes aux autres, où j'ai également pu former certaines de mes meilleures amitiés et relations. Par ailleurs, la raison principale pour laquelle j'ai déménagé aux États-Unis est un sommet appelé Lesbians Who Tech. J'ai donc un peu l'impression d'avoir un super pouvoir, de part mon orientation et mon métier.
Et en même temps, quand nous avons collecté des fonds, nous avons parlé à beaucoup de personnes, la majorité n'ayant aucune idée de ce que nous construisions. Personne n'attendait qu'un homme soit derrière HER, mais ils ne comprenaient pas le marché, les comportements, la communauté, le public, car tout était si éloigné de leur vie. Et à ce moment-là, vous devez essayer d'éduquer quelqu'un très rapidement sur l'échelle et la taille de la communauté et les opportunités économiques qu'il y a à se lancer. Cette mini-éducation était difficile.
Dans le pire des cas, certaines personnes m'ont dit : "Tu ne peux pas être lesbienne, j'ai déjà vu des lesbiennes et leurs cheveux n'ont rien à voir avec les tiens". Il y avait aussi des investisseurs effrayants qui envoyaient des messages type : "Je n'arrête pas de penser à toi, à elle", tout cela est vraiment terrible. Je pense qu'en étant élevée en tant que femme, on s'y habitue, on nous a appris à avoir la peau dure. Cela ne rend pas ces comportements excusables ou OK, mais en étant entrepreneure, notre peau devient encore plus dure et on ne se laisse pas décourager par certaines réflexions, certains tons qui en rebuteraient plus d'un.
Moi, je me suis convaincue que j'étais Arya Stark de Game of Thrones, en me répétant une liste de personnes à abattre le soir : "Tu essaies de me la mettre à l'envers, je vais te montrer pourquoi c'était une erreur" (rires).
R. E. : A l'époque, et c'est ce que je réponds souvent, je voulais juste trouver une copine et l'application que j'utilisais était affreuse (rires). Cela faisait aussi 5 ans que j'évoluais dans la même société et j'avais envie de quelque chose de nouveau, je me demandais quelle serait la prochaine étape. Et puis, j'étais déçue que mes clients refusent constamment les idées que je proposais, c'était très frustrant. De plus, les marques et le design de tous les produits pour les femmes queer étaient vraiment mauvais. Beaucoup de facteurs au même moment, donc.
J'étais jeune et je n'avais aucune idée de la difficulté de ce dans quoi je m'embarquais. Je me disais simplement "ça ne doit pas être si difficile, j'ai juste à apprendre à coder !" Si j'avais su que 8 ans plus tard, je serais ici, j'aurais sûrement réalisé que ce projet était beaucoup plus important que ce à quoi je m'attendais.
R. E. : Quand j'ai commencé à me pencher sur cette idée, je collaborais avec un ami et on envisageait d'abord une application de rencontres générique. Celui-ci a déménagé à Paris pour le boulot, donc j'ai passé davantage de temps à y penser par moi-même. A l'époque, un autre ami, un Autrichien qui était la première personne venant du monde de la start-up que j'ai rencontrée, me donnait des conseils avec son accent très prononcé en disant littéralement : "C'est de la merde, ça ne marchera jamais".
Je me souviens avoir pensé "bon, d'accord...", m'être servie un verre de vin et avoir passé un moment à cogiter. J'avais vraiment envie de me lancer et d'un coup, je me suis rendu compte que je savais exactement ce que je devais faire. "J'utilise ce site web, c'est naze, je me soucie tellement plus de cette communauté que de faire une application générique de rencontres", ai-je pensé. C'est donc après une bouteille et demie de vin que j'ai ouvert les yeux et réalisé : "Oui, c'est la bonne méthode, c'est ce que je vais faire".
R. E. : Je pense qu'elles sont hétéronormatives et surtout je pense qu'elles sont paresseuses. Toutes ces applications ont été conçues par des hommes hétéros blancs et cisgenres. Il y a un an ou deux, Tinder a publié un communiqué de presse dans lequel on pouvait lire, en gros : "Devinez ce que nous avons ajouté : les options d'identité de genre et les options de sexualité". Je suis contente qu'ils l'aient fait, mais franchement, c'est embarrassant. Une entreprise qui réalise un milliard de dollars de chiffre d'affaires par an et compte 800 employé·e·s n'ajoute ces options qu'après 8 ans de présence sur le marché ? Elle devrait avoir honte.
Après, la réalité de ces plateformes est qu'elles ont une échelle et une taille considérables. Les personnes queer les utilisent parce qu'elles aiment qu'il y ait beaucoup de monde. C'est une chose à laquelle celles-ci sont d'ailleurs très habituées, de devoir prendre ce qu'on leur donne. Et une partie de ce que nous voulons faire avec HER, c'est montrer que nous pouvons construire un produit et un service formidables pour les queers, qui comprennent vraiment qui vous êtes et célèbrent toutes les choses qui font de vous ce que vous êtes.
On ne parle pas d'une étiquette ou d'une option supplémentaires, c'est toute une expérience qui vous ressemble et qui exprime votre identité et votre personnalité.
R. E. : HER ("elle", en français) a été choisi en premier lieu parce que l'espace pour lequel nous voulons être connus est la réflexion sur l'expérience des femmes queer et sur leurs interactions et comportements. Et cette différence dans la conception de l'expérience de dating n'a pas été abordée ailleurs.
R. E. : HER est une application de rencontre et de communauté qui aide les lesbiennes, les bisexuel·le·s et les personnes queer à se trouver.
R. E. : La raison principale pour laquelle nous avons créé HER, c'est que les relations dans le dating queer sont beaucoup plus fluides que dans le monde hétéro. Lorsque l'on se rend à un rencard et que ça ne marche pas, on a des chances de rester ami·e·s et d'entretenir une relation qui est assez différente de la dynamique hétérosexuelle. Si un rendez-vous entre un homme et une femme ne marche pas, l'un et l'autre ne se parleront probablement plus.
Ensuite, l'appli propose de rejoindre des communautés conçues autour d'intérêts ou d'identités, pour se connecter à des personnes qui nous ressemblent et avoir une conversation plus informelle. Il y a par exemple une communauté autour du sport ou de l'activisme, où l'on partage des liens et commente des contenus. Et puis il y a les communautés autour des identités, pour les femmes trans, les hommes trans, les personnes non-binaires, les femmes queer de couleur... où l'on partage des expériences, pose des questions et donne des conseils sentimentaux - mais ces interactions ne s'accompagnent d'aucune pression quant à un potentiel rendez-vous.
Et puis, il y a nos événements en ligne. Se retrouver entre membres de la communauté queer et voir des visages queer donne le sentiment de faire partie d'un groupe, et d'être accompagné·e (ce qui est particulièrement important en ce moment, alors que la solitude frappe beaucoup d'entre nous). Nous organisons des soirées cinéma chaque semaine, ou encore la Drag Queen Story, un événement qui accueille des drag queens pour parler des icônes queer à travers l'Histoire, afin d'apprendre à celleux qui s'identifient comme appartenant à cette communauté de connaître les noms qui l'on construite.
R. E. : Oui, effectivement. Nous avions même une blague selon laquelle les femmes queer sont nées pour cette pandémie, car c'est exactement comme ça que nous nous fréquentons : les relations à distance, beaucoup de messages, beaucoup de tchat, de l'intimité émotionnelle avant de rencontrer quelqu'un - c'est notre truc.
Plus concrètement, en termes de chiffres, nous avons constaté une forte augmentation pendant le tout premier confinement, en mars 2020, puis l'utilisation a diminué. Et depuis juillet dernier, elle grimpe de plus en plus. Janvier est toujours une période importante de l'année pour les rencontres, et cette fois, nos résultats ont augmenté de 22 % par rapport à l'année dernière. Nous avons souvent constaté que les utilisateur·rice·s "matchaient" et abandonnaient la conversation, mais aujourd'hui, la durée des conversations est de plus en plus longue.
R. E. : On observe beaucoup plus de discussions en ligne. Si la communauté queer a plutôt l'habitude de faire connaissance dans les bars et les espaces physiques, et que, post-Covid, on y reviendra sans aucun doute, pour l'instant, le digital et les applis restent le principal moyen de rencontrer du monde.
R. E. : Utilisez HER ! (rires) En vrai, je dis toujours : ne prenez pas ça trop au sérieux, dites "oui" à plus de gens et ayez plus de conversations. Notre audience a tendance à trop réfléchir et envisager chaque interaction comme quelque chose de très important, mais je pense que le simple fait de discuter avec quelqu'un a du bon, c'est du positif pour tout le monde.
Si aucun·e de vous deux n'envoie de question, envoyez une question ! Ne pensez pas à quelle sera la question parfaite, contentez-vous d'écrire et commencez à échanger.