Culture
Rentrée littéraire 2012 : Marie Edith Cypris, « Mémoires d'une transsexuelle »
Publié le 22 août 2012 à 09:00
Par Marion Roucheux
Né dans un corps d'homme qui n'est pas le sien, Marc va lutter durant trente ans pour devenir Marie. Opérée en 2007, Marie Edith Cypris revient sur le parcours semé d'embûches de sa transsexualité. Non sans humour et beaucoup de pédagogie, elle raconte dans « Mémoires d'une transsexuelle » la difficulté et la douleur de changer de corps et de devenir enfin soi-même. Entretien.
Rentrée littéraire 2012 : Marie Edith Cypris, « Mémoires d'une transsexuelle » Rentrée littéraire 2012 : Marie Edith Cypris, « Mémoires d'une transsexuelle »© DR
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Terrafemina : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce livre ? Est-ce une démarche d’introspection ou la volonté de montrer la transsexualité de « l’intérieur » pour mieux faire comprendre cette démarche ?

Marie Edith Cypris : Ce qui m’a décidée à écrire ce texte c’est le désir de témoigner de ce parcours, de partager cette expérience où j’apparais tantôt brave, tantôt minable, mais jamais lâchée par la volonté acharnée qui est le pivot de toute ma démarche. Même si le vœu de changer de sexe apparaît parfois chancelant, on ne résiste pas à la persistance de cet appel du destin : tel est l’état de santé psychique dont j’ai voulu rendre compte. Il y a aussi effectivement la volonté de livrer avec honnêteté un regard de l’intérieur, autrement dit la tentative d’offrir au lecteur la possibilité de saisir au mieux ce qu’est la « condition transsexuelle ».


Tf : Pouvez-vous revenir sur votre démarche personnelle et les obstacles que vous avez rencontrés pour changer de sexe ?

M.E.C. : Les obstacles que j’ai rencontrés sont nombreux. D’abord, il y a le fait qu’à la fin des années soixante-dix il n’y avait pas Internet et que le parcours médical était tenu dans une telle confidentialité, qu’il était presque impossible d’en connaître l’existence. Du coup, la plupart des transsexuelles n’avaient d’autre moyen que la prostitution pour se payer des interventions à l’étranger. Je n’étais pas partante pour un tel parcours. Il y a aussi l’environnement social qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne vous encourage pas à vous lancer dans cette aventure : tout le monde vous identifie comme un homme et vous attend en tant que tel, on n’a que faire de votre embarrassante conviction qu’on qualifie de délirante… Enfin, il y a le fait que votre volonté ne peut pas tout, il vous faut bénéficier d’une situation financière et professionnelle favorable.

Tf : Votre conversion a été effective en 2007, vous aviez alors 49 ans. Mais, comme vous le racontez dans votre livre, vous avez pris conscience dès l’âge de 18 ans du fait que vous étiez une « femme emprisonnée dans un corps d’homme ».

M.E.C. : La prise de conscience de cet état est constituée de plusieurs étapes successives, qui vont crescendo en terme de puissance du ressenti : j’appelle cela un cheminement vers « l’autodiagnostic ». D’un trouble assez imprécis vers douze ans, il s’est déployé chez moi dans toute son ampleur vers dix-huit ans. Lorsque l’on se découvre « prisonnière » de ce corps masculin, mais qu’on a compris qu’on ne serait jamais un homme, qu’on ne pourra pas fournir le moindre effort pour l’être sans que cela nous cause une douleur terrible, c’est l’enfer… Détester être un homme, désirer être une femme, là se tient le yin et le yang de l’état transsexuel.

Tf : Quelles ont été les grandes étapes vers la « transformation » ?

M.E.C. : Ce que je qualifierais de grandes étapes, ce sont toutes les modifications corporelles qui se sont succédé et qui m’ont fait avancer vers un corps toujours plus proche de l’autre sexe.  L’élaboration d’une harmonie entre anatomie, look féminin et conduites sous-tendues. Ces étapes, en ce qui me concerne, sont l’hormonothérapie, l’épilation définitive, la chirurgie plastique du visage et la pose de prothèses mammaires. L’événement le plus marquant étant l’intervention chirurgicale de transformation génitale. C’est elle qui en plus conditionne la reconnaissance par les tribunaux pour l’obtention du changement d’état civil. De fait, l’arrivée d’une panoplie complète de papiers en adéquation avec votre « vraie » identité (carte d’identité, permis de conduire, carte vitale, diplôme, etc.) constitue le terminus de ce périple. La sérénité, enfin…

Tf : Comment s’est passée la découverte de votre sexualité et vie amoureuse en tant que femme ?

M.E.C. : Les premiers pas en quête d’une sexualité avec ce corps de femme, dans mon cas, ont d’emblée fait apparaître un paradoxe : je suis à la fois ménopausée et en pleine puberté ! Cela du fait de mon âge : cette sensation n’est en effet pas ressentie par une jeune transsexuelle de vingt ans… Sinon les rencontres sont aussi épicées que pour les femmes « biologiques », à savoir que l’on peut rencontrer des hommes qui ne sont intéressés que par le sexe (ce qui n’est pas le type d’homme que je recherche : je veux un vrai petit copain…) et que le prince charmant reste tout aussi improbable !

Tf : Vous avez quitté votre emploi en tant que Marc et êtes revenue en tant que femme, sous votre prénom Marie : comment votre retour à la vie quotidienne s’est-il passé ?

M.E.C. : Ai-je eu de la chance, où ai-je eu celle que je méritais, c’est la question que pose mon retour au quotidien dans la vie professionnelle, sous mon prénom Marie et mon corps métamorphosé. Cette chance c’est celle que j’ai eue que mon employeur accepte que je revienne à l’hôpital à mon même poste d’aide-soignante, avec une qualité d’accueil exemplaire. Pour autant, il s’agissait là d’une ultime étape sociale, car je devais dès lors fuir tous ceux qui avaient connu Marc : ce rappel dans leur regard était insoutenable. Du coup, j’ai postulé dans une clinique où je suis arrivée en tant que femme, vierge de tout passé. Pendant un certain temps, quand je quittais la clinique après une journée de douze heures à être nommée et considérée comme Marie, je pleurais jusqu’à l’entrée du métro...

Tf : Vous dénoncez de façon très franche les associations transsexuelles et leurs revendications. Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans ces associations ?

M.E.C. : Je n’adhère pas à la plupart des revendications des associations de transsexuels pour une raison simple : elles se déploient sous l’égide de la victimisation. Elles portent souvent un discours agressif envers les institutions chargées de la prise en charge des transsexuels. Leur posture victimaire est l’étendard d’un militantisme qui exige que le changement de sexe devienne une formalité aussi simple que changer sa couleur de cheveux. Aussi, elles invectivent la société pour obtenir que changer de sexe soit un droit de l’homme et de la femme en France. Dans cette lutte se joue ce que ces associations voudraient obtenir par-dessus tout : être pris en charge à 100% par l’assurance maladie pour tous les frais médicaux de transformation, sans évaluation médicale ! D’autre part, elles tapent du pied pour que les tribunaux accordent le changement d’état civil à tous les « trans », y compris à ceux qui n’ont pas souhaité de transformation génitale, voire certains qui n’ont pas pris d’hormones et qui demeurent des hommes en capacité de bander et de féconder… Bien entendu je ne suis pas d’accord avec ces positions.

« Mémoires d’une transsexuelle. La belle au moi dormant », de Marie Edith Cypris, éditions puf, 26 euros.

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