Marie Edith Cypris : Ce qui m’a décidée à écrire ce texte c’est le désir de témoigner de ce parcours, de partager cette expérience où j’apparais tantôt brave, tantôt minable, mais jamais lâchée par la volonté acharnée qui est le pivot de toute ma démarche. Même si le vœu de changer de sexe apparaît parfois chancelant, on ne résiste pas à la persistance de cet appel du destin : tel est l’état de santé psychique dont j’ai voulu rendre compte. Il y a aussi effectivement la volonté de livrer avec honnêteté un regard de l’intérieur, autrement dit la tentative d’offrir au lecteur la possibilité de saisir au mieux ce qu’est la « condition transsexuelle ».
M.E.C. : Les obstacles que j’ai rencontrés sont nombreux. D’abord, il y a le fait qu’à la fin des années soixante-dix il n’y avait pas Internet et que le parcours médical était tenu dans une telle confidentialité, qu’il était presque impossible d’en connaître l’existence. Du coup, la plupart des transsexuelles n’avaient d’autre moyen que la prostitution pour se payer des interventions à l’étranger. Je n’étais pas partante pour un tel parcours. Il y a aussi l’environnement social qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne vous encourage pas à vous lancer dans cette aventure : tout le monde vous identifie comme un homme et vous attend en tant que tel, on n’a que faire de votre embarrassante conviction qu’on qualifie de délirante… Enfin, il y a le fait que votre volonté ne peut pas tout, il vous faut bénéficier d’une situation financière et professionnelle favorable.
M.E.C. : La prise de conscience de cet état est constituée de plusieurs étapes successives, qui vont crescendo en terme de puissance du ressenti : j’appelle cela un cheminement vers « l’autodiagnostic ». D’un trouble assez imprécis vers douze ans, il s’est déployé chez moi dans toute son ampleur vers dix-huit ans. Lorsque l’on se découvre « prisonnière » de ce corps masculin, mais qu’on a compris qu’on ne serait jamais un homme, qu’on ne pourra pas fournir le moindre effort pour l’être sans que cela nous cause une douleur terrible, c’est l’enfer… Détester être un homme, désirer être une femme, là se tient le yin et le yang de l’état transsexuel.
M.E.C. : Ce que je qualifierais de grandes étapes, ce sont toutes les modifications corporelles qui se sont succédé et qui m’ont fait avancer vers un corps toujours plus proche de l’autre sexe. L’élaboration d’une harmonie entre anatomie, look féminin et conduites sous-tendues. Ces étapes, en ce qui me concerne, sont l’hormonothérapie, l’épilation définitive, la chirurgie plastique du visage et la pose de prothèses mammaires. L’événement le plus marquant étant l’intervention chirurgicale de transformation génitale. C’est elle qui en plus conditionne la reconnaissance par les tribunaux pour l’obtention du changement d’état civil. De fait, l’arrivée d’une panoplie complète de papiers en adéquation avec votre « vraie » identité (carte d’identité, permis de conduire, carte vitale, diplôme, etc.) constitue le terminus de ce périple. La sérénité, enfin…
M.E.C. : Les premiers pas en quête d’une sexualité avec ce corps de femme, dans mon cas, ont d’emblée fait apparaître un paradoxe : je suis à la fois ménopausée et en pleine puberté ! Cela du fait de mon âge : cette sensation n’est en effet pas ressentie par une jeune transsexuelle de vingt ans… Sinon les rencontres sont aussi épicées que pour les femmes « biologiques », à savoir que l’on peut rencontrer des hommes qui ne sont intéressés que par le sexe (ce qui n’est pas le type d’homme que je recherche : je veux un vrai petit copain…) et que le prince charmant reste tout aussi improbable !
M.E.C. : Ai-je eu de la chance, où ai-je eu celle que je méritais, c’est la question que pose mon retour au quotidien dans la vie professionnelle, sous mon prénom Marie et mon corps métamorphosé. Cette chance c’est celle que j’ai eue que mon employeur accepte que je revienne à l’hôpital à mon même poste d’aide-soignante, avec une qualité d’accueil exemplaire. Pour autant, il s’agissait là d’une ultime étape sociale, car je devais dès lors fuir tous ceux qui avaient connu Marc : ce rappel dans leur regard était insoutenable. Du coup, j’ai postulé dans une clinique où je suis arrivée en tant que femme, vierge de tout passé. Pendant un certain temps, quand je quittais la clinique après une journée de douze heures à être nommée et considérée comme Marie, je pleurais jusqu’à l’entrée du métro...
M.E.C. : Je n’adhère pas à la plupart des revendications des associations de transsexuels pour une raison simple : elles se déploient sous l’égide de la victimisation. Elles portent souvent un discours agressif envers les institutions chargées de la prise en charge des transsexuels. Leur posture victimaire est l’étendard d’un militantisme qui exige que le changement de sexe devienne une formalité aussi simple que changer sa couleur de cheveux. Aussi, elles invectivent la société pour obtenir que changer de sexe soit un droit de l’homme et de la femme en France. Dans cette lutte se joue ce que ces associations voudraient obtenir par-dessus tout : être pris en charge à 100% par l’assurance maladie pour tous les frais médicaux de transformation, sans évaluation médicale ! D’autre part, elles tapent du pied pour que les tribunaux accordent le changement d’état civil à tous les « trans », y compris à ceux qui n’ont pas souhaité de transformation génitale, voire certains qui n’ont pas pris d’hormones et qui demeurent des hommes en capacité de bander et de féconder… Bien entendu je ne suis pas d’accord avec ces positions.
« Mémoires d’une transsexuelle. La belle au moi dormant », de Marie Edith Cypris, éditions puf, 26 euros.
Découvrez la sélection de la rédaction dans notre dossier spécial rentrée littéraire.
VOIR AUSSI
Rentrée littéraire 2012 : un cru de romans sombres
Rentrée littéraire : François Hollande et Valérie Trierweiler stars de 7 livres
Les transsexuels s'invitent dans la campagne présidentielle
Transsexuels : une loi pour simplifier le changement de sexe
Rentrée littéraire 2012 : Nathalie Démoulin, « La Grande bleue »
Rentrée littéraire 2012 : Marianne Rubinstein, « Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel »
Rentrée littéraire 2012 : Stéphane Zagdanski, « Chaos brûlant » (vidéo)
Marilyn Monroe de A à Z : le dictionnaire 100% Marilyn
Marie Blanche : un roman familial signé Jim Fergus