Véronique Olmi : Le personnage est né d’une question : qu’est-ce que le désir ? L’attirance ? J’avais envie de décrire une attirance immédiate, violente, urgente, d’un homme qui vit dans le beau, le confort, la jeunesse (sa femme a 30 ans de moins que lui), pour une femme qui est l’inverse de cela. A savoir, une femme de 40 ans, ordinaire, d’apparence banale. Qu’est-ce qui s’arrache à lui pour aller vers elle ? Quelle part de son être ? Quel est le rôle de l’inconscient dans le coup de foudre, qu’est-ce qu’il perçoit de la personne qui vous attire sans raison, croit-on.
V.O. : Ce qui m’attire, c’est le thème du double. La complexité. Nous sommes toujours plus vastes et ambigus que ce que nous laissons paraître, ou de ce que les autres veulent bien voir. Pour vivre avec cette dualité nous pouvons être dans le déni, le mensonge, le paraître, nous pouvons nous persuader que ce qui est tu n’existe pas, ou bien qu’il suffit d’oublier ses blessures, ses culpabilités, pour qu’elles finissent par disparaître. Or, rien ne s’oublie. Tout se cumule et s’accumule. Et un jour, la vérité de notre être, double et complexe, se tient en face de nous. Ce qui m’intéresse en tant que romancière c’est : qu’est-ce qu’on fait alors, dans ce moment charnière et crucial ?
V.O. : Je ne sais pas si c’est le destin ou une chance formidable qui lui est donnée de faire face à la vérité, si étrange et douloureuse soit elle. Suzanne, en permettant à Serge de lui livrer le secret de son enfance, lié à une culpabilité énorme et une blessure filiale, lui permet d’une part d’affronter son père, de découvrir un autre pan de la vérité, et aussi de lâcher son armure d’homme comblé, riche et heureux, qui ne le protégeait plus de rien, mais le lestait au contraire et le mettait presque à terre.
V.O. : Ce qu’il ressent immédiatement, dés qu’il la voit, c’est qu’elle vit sans avoir peur. Elle est son exacte inverse. Elle est dans le présent, dans le moment, elle accorde des pianos, elle vit une vie simple mais harmonieuse. Cette vie ne la comble pas, mais Suzanne est un être concret et sans faux fuyant. C’est vraiment cette absence de peur qui la rend libre, qui attire Serge quand il la voit la première fois.
V.O. : J’ai écrit des romans sur la relation parents enfants (« Bord de mer », « Numéro Six », « La Promenade des Russes », par exemple) et ce n’est pas tant la relation « homme-femme » qui me fascine mais celle qui lie deux personnes, qui s’aiment, et donc, l’histoire commence. Il n’y a pas d’histoire, hors de l’amour, il y a juste de l’indifférence, et qu’écrire sur l’indifférence ? (la haine est l’autre versant de l’amour). Ce qui m’attire c’est le mystère de la relation qui se tisse et qui est faite de milliers de fils divers : la possession, la passion, la perversité, la communion, la névrose, la découverte, tout ce que l’on vit de beau par amour, mais aussi tout ce que l’on accepte ou subit au nom de « l’amour » qui revêt bien des déguisements, des apparences. Qu’est-ce qui lie deux êtres entre eux ? Si on se penche sur cette question, on se penche forcément sur l’identité et l’âme de ces personnes-personnages…
V.O. : Elle surgit de l’inconscient. On l’a en soi depuis longtemps, parfois sans le savoir, et c’est elle qui choisit le moment où elle va apparaître, vous obséder, et être inévitable.
V.O. : Je viens de lire « Pourquoi être heureux quand on peut être normal » et « Les oranges ne sont pas les seuls fruits » de Jeanette Winterson, et j’en parle à tout le monde ! C’est merveilleux de découvrir un auteur, surtout quand il est de l’importance de Jeanette Winterson. Pour moi ces deux livres contiennent tout : la quête et la construction d’un individu, la puissance de l’imaginaire, et aussi le rapport à l’écriture et à la vérité qui n’existe pas et que l’on cherche sans répit et sans l’appréhender tout à fait. Ces deux livres sont des romans philosophiques.
V.O. : « Une vie » de Maupassant, trois fois, et « L’Idiot » de Dostoïevski, deux fois… Ce qui évidemment ne prend pas le même temps de lecture ! J’aime les livres et les auteurs avec lesquels on en n’a jamais fini, parce qu’ainsi on peut revenir vers eux sans cesse. Les retrouver et les redécouvrir, et se souvenir en les relisant, de qui on était la dernière fois qu’on les a lus. On relit le livre et soi même.
V.O. : C’est compliqué, parce que les grands auteurs que j’aimais m’ont plutôt empêchée d’écrire. A quoi bon écrire qu’on a le cafard quand on a lu « Les fleurs du mal » ou parler des anges quand on a lu Rilke ? Il a fallu les oublier pour me lancer. En même temps je sais que sans eux, sans l’accompagnement quotidien des livres (Délivre !) je n’aurais jamais écrit. Et c’est valable aujourd’hui encore. Je ne continuerai pas sans eux, la lecture est une façon d’être au monde, de le supporter et de l’éclairer aussi. Impossible de respirer sans eux.
Véronique Olmi, « Nous étions faits pour être heureux », Albin Michel, 18 €.
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