On est pas sérieux quand on a 25 ans, aurait pu dire le poète. C'est en tout cas l'âge qu'arbore un classique du cinéma d'horreur : Scream. A mi-chemin entre pastiche et morbide pur et dur, le film de Wes Craven est connu pour avoir initié tout un courant : le "néo-slasher". Soit la variation moderne du slasher movie, ce sous-genre horrifique mettant en scène une bande de jeunes (clichés sur les bords) pourchassés par un tueur (masqué et armé) paré à les zigouiller - de façon bien graphique s'il vous plaît.
Des codes que Scream épouse pour mieux malmener, énumère dans la bouche de ses personnages, et de son tueur (Ghostface), entre complicité amusée avec le public, dérision et déconstruction habile du cinéma horrifique. Une recette qui a généré bien des émules. A l'heure de cet anniversaire un peu spécial qui ne rajeunit personne, et alors que se profile un attendu (autant que redouté) cinquième opus, il fait bon se replonger dans les maisons pavillonnaires de Woodsboro, cette ville fictive où la jeune Sidney Prescott défie la mort, les coups de couteaux et la masculinité toxique.
Revoir Scream c'est déjà se prendre un bon shoot de nostalgie. Redécouvrir la puissance de sa scène d'ouverture, la méticulosité de son écriture "méta", sa bande sonore qui fleure bon les années 90, mais aussi... sa force féministe. C'est d'ailleurs cette richesse qui fascine tant Mylène.
Sur sa chaîne YouTube, Welcome To Primetime Bitch! (clin d'oeil à une punchline du slasher surnaturel Freddy 3 : Les griffes du cauchemar), cette spécialiste du cinéma de genre valorise aussi bien les chefs-d'oeuvre italiens (ceux de Dario Argento) que les futurs classiques (comme Relic). Elle est des voix féminines et plurielles qui constituent aujourd'hui la "S'horrorité" des YouTubeuses expertes en cinéma d'horreur.
Les 25 ans de Scream étaient donc l'occasion rêvée pour cette passionnée de brosser le portrait d'un intouchable de notre filmothèque. Et de nous rappeler pourquoi il convient de s'y (re)plonger. En quatre nuances.
"J'ai découvert Scream quand j'étais au collège, et j'ai rattrapé toute la trilogie d'un coup. Il fait partie de ces films 'qui font peur' dont la découverte est inoubliable : tu te rappelles forcément des détails de ta première séance, du lieu, du moment. Je l'avais pour ma part visionné chez mes parents, avec une amie, alors que ces derniers étaient absents. Découverte d'autant plus inoubliable que l'affiche était déjà bien mystérieuse. Et passée la jaquette, vient l'intro : autrement dit, le moment le plus marquant dans un Scream !
Dans ce premier volet, on assiste au meurtre de Casey Becker, incarnée par Drew Barrymore. Wes Craven rend déjà hommage au cinéma d'horreur puisqu'il revisite Psychose : comme dans le film d'Alfred Hitchcock avec le personnage de Marion Crane (Janet Leigh), il surprend le public en tuant sans prévenir le plus gros nom du casting. Une manière de nous affirmer que dans ce film, personne n'est à l'abri.
On dit souvent de Scream qu'il est un film seulement appréciable par des férus du genre, et c'est totalement faux. C'est au contraire le film parfait pour découvrir le cinéma d'horreur. Puisqu'il cumule des codes et des références, Scream peut s'envisager comme un mode d'emploi définitif du slasher movie.
Il est ludique, pas difficile d'approche, pas trop horrifique (malgré ses quelques scènes gore). Et ceux qui l'ont aimé s'amuseront de découvrir les films auxquels il rend hommage : les licences Freddy et Vendredi 13, le Halloween de John Carpenter, Le bal de l'horreur, Massacre à la tronçonneuse, Le silence des agneaux..."
"En déconstruisant le slasher movie, Scream réécrit sa figure centrale : la finale girl. A savoir, cette jeune fille innocente et pure qui survit au tueur car, au-delà de sa force physique, elle ne succombe pas aux tentations (drogue et sexe) comme ses amis. Or, notre héroïne, Sidney Prescott (Neve Campbell) n'est pas comme ça. Ces règles de survie, elle les transgresse ouvertement (sur le plan du sexe par exemple, en compagnie de son petit ami). Ce qui ne l'empêche pas de conserver son statut de finale girl.
Depuis les tout premiers slashers, la posture de la finale girl est toujours ambivalente dans le cinéma d'horreur. D'un côté, ce stéréotype nous permet de nous représenter, nous, spectatrices, comme des femmes fortes, luttant contre la mort. Plus encore, des femmes survivantes. Mais de l'autre, il y a toujours une forme de misogynie latente dans ces histoires, ne serait-ce que par leur côté moralisateur.
En adaptant ces codes désuets aux moeurs actuelles, Wes Craven et le scénariste Kevin Williamson modernisent un autre classique : Halloween de John Carpenter. Dans ce slasher, le personnage de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis), bien qu'iconique, est finalement très sage, ne boit pas, n'a pas de relations sexuelles, et c'est la seule qui va survivre au tueur qui la poursuit - Michael Myers, que cite d'ailleurs Ghostface, le tueur de Scream.
Sidney Prescott, elle, va renverser cette forme de fatalité de la victime. Comme une version 2.0. de vieux modèles. La vidéaste Demoiselle d'horreur en parle d'ailleurs très bien dans son analyse du personnage.
Déjà, elle n'est pas qu'une silhouette innocente qui va être meurtrie : avant que le tueur ne s'en prenne à elle, nous savons déjà qu'elle souffre du deuil de sa mère. Elle a un passif. Sidney n'est pas une candide qui court en hurlant. C'est une battante, pleine d'initiative et ultra-maligne.
C'est ce qui la rapproche d'un autre personnage, également mis en scène par Wes Craven : Nancy, la jeune adolescente des Griffes de la nuit. Afin de se défendre contre le croquemitaine Freddy Krueger qui envahit les rêves de ses victimes, Nancy privilégie un plan à la Maman j'ai raté l'avion : elle va faire en sorte d'avoir le tueur à son propre jeu, d'inverser les rôles. C'est exactement ce que va faire Sidney Prescott à la fin de Scream."
"Gale Weathers est le personnage de reporter incarnée par Courtney Cox. Au départ antipathique aux yeux de Sidney (elle a écrit un livre sur la mort de sa mère, Maureen Prescott), elle va finalement la sauver et devenir sa meilleure amie – en quelque sorte. Elle me rappelle la journaliste du Profondo Rosso de Dario Argento, classique du giallo, ce genre italien qui a inspiré le slasher.
Dans le troisième volet de Scream, qui nous parle des fantômes du passé, Gale se retrouve poursuivie par l'actrice qui joue son propre rôle, Jennifer Jolie, lors de la production de la suite d'un simili-Scream (intitulé Stab 3: Return to Woodsboro), et donc... par ce qu'elle aurait pu être dans le premier opus. C'est très drôle : elle ne 'se' supporte pas ! Et c'est également une façon de nous suggérer l'évolution des personnages féminins, tout en tournant en dérision les travers des productions hollywoodiennes.
Au fil des opus, ces personnages vont constituer une sorte de bande, à la manière du Scooby Gang de Scooby Doo. C'est quelque chose que l'on voit très peu dans les autres franchises horrifiques (Souviens-toi l'été dernier, Urban Legend...) où les personnages ne reviennent pas toujours tous d'un volet à l'autre.
Contrairement à beaucoup de slashers (un genre par ailleurs plus ou moins déclaré mort depuis dix ans quand débarque le film), les auteurs de Scream accordent plus d'importance à l'écriture de leurs personnages (féminins) qu'au body count – à savoir, l'accumulation des meurtres plus ou moins graphiques. On éprouve de l'empathie pour eux et l'on se plaît à suivre ce que va vivre Sidney Prescott (et ses amies, comme Gale) au fil des années."
"Les suites de Scream sont d'ailleurs intéressantes. Alors que le premier opus privilégie une jeunesse blanche privilégiée, Scream 2 valorise une sororité et un côté campus plus vaste. De même, dès son intro, il met en scène des Afro-américains. L'une des premières victimes du tueur (Maureen Evans, incarnée par Jada Pinkett) dit d'ailleurs à son petit ami : 'Ce sont toujours des femmes blanches débiles (dumbass white girls) qu'on voit dans ces films !'. Le reste de la franchise va généralement privilégier un casting plus inclusif.
Mais par-delà les suites, Scream va générer beaucoup d'héritiers. Le film nous vend un concept radical : la seule façon de relancer un genre, c'est de le déconstruire. Et bien des émules vont s'y exercer. Le faux documentaire Beyond the Mask par exemple (où l'on suit le quotidien d'un tueur de slasher movie qui nous explique les codes), mais aussi la comédie The Final Girls ou encore les deux volets populaires de la saga Happy Birthdead.
Ce dernier film est un bon exemple d'héritier. Sa protagoniste, l'adolescente Tree (Jessica Rothe), est prise dans une boucle temporelle type Un jour sans fin qui l'oblige à toujours revivre la même journée, un tueur masqué à ses trousses. Or, Tree ne répond à aucune des règles de la finale girl : elle boit, elle a des petits copains, n'est en rien innocente, pudibonde ou candide. Et pourtant, elle est bel et bien la finale girl de cette saga. Avec Happy Birthdead, on s'éloigne donc définitivement du mode d'emploi de l'âge d'or du slasher."