Priscilla Presley n'a que quatorze ans lorsqu'elle rencontre l'idole des jeunes : Elvis Presley, le King du rock'n'roll. Ce dernier est de dix ans son aîné. Voilà pour les prémisses du dernier film de la grande Sofia Coppola, cinéaste passée reine dans un art, celui de décrire avec délicatesse les solitudes féminines.
L'histoire vraie, et les Mémoires, au sein desquelles puise minutieusement Sofia Coppola, démontrent sa volonté de respecter le plus possible les souvenirs et l'intégrité de Priscilla Presley. Signe qui ne trompe pas, l'ex compagne d'Elvis est d'ailleurs la coproductrice de ce Priscilla qui fait office de grand événement cinéma de cette rentrée hivernale.
Priscilla, c'est du Sofia Coppola dans le texte. Photographie naturellement sublime, figeant dans l'espace et le temps des instantanés de vie immobile, à la fois profondément mélancoliques et doux comme de la soie. Musique au cordeau, où les classiques folk et rock palpitent sous nos oreilles attentives. Casting glamour, où beauté et violence (des sentiments notamment) s'enlacent comme un couple toxique. C'est inimitable.
Et pourtant... Quelque chose semble cruellement manquer à ce qui aurait pu, ce qui aurait dû, être un grand film féministe. On vous explique tout.
Priscilla est-il un grand film raté ? Peut être.
Car l'oeuvre peine à développer ce que sa première partie, une véritable réussite, initie avec une impeccable minutie. Sofia Coppola choisit d'abord de nous relater la rencontre entre son héroïne et le King. C'est à dire, entre un homme adulte et une gamine. Différence d'âge d'ailleurs vivement rappelée par les parents de notre protagoniste, et l'entourage d'Elvis...
Et ce postulat d'être parfaitement saisi. Sofia Coppola nous plonge dans la tête de cette très jeune Priscilla, qu'elle observe avec fascination, et (c'est une évidence) une immense tendresse : elle retranscrit avec délicatesse sa candeur, son émerveillement face à ce qui deviendra son compagnon, les espoirs de cette fille rêvant d'un ailleurs radieux, loin du bled où elle semble s'ennuyer à mourir. Ce faisant, la cinéaste ne cache rien de ce qu'Elvis incarne : une forme de domination masculine, qui ne cessera de maintenir son emprise.
Tout nous est dès lors suggéré : prédation et domination s'esquissent sous couvert de légitimité culturelle. Les cadrages, le choix de champs et contrechamps, celui du regard privilégié, tout traduit dans le travail formel de Sofia Coppola une envie de mettre en scène des enjeux qui, d'une certaine manière, renvoient curieusement à un film marquant de 2023 : Le consentement, d'après le récit de Vanessa Springora.
Une première partie qui distille un profond sentiment de malaise, d'autant plus que son vernis visuel n'allège en rien cette facette glaciale. Mais sur la durée, si l'attitude du King ne cessera certes d'être dévoilée dans toute sa toxicité, des répliques méprisantes aux accès de violence divers, il semble que Sofia Coppola replonge dans ce qu'elle nous a toujours proposé : l'ennui étouffant d'une jeune femme dans sa prison dorée. Une ritournelle qu'un film comme Marie Antoinette n'a eu de cesse d'entonner. Rien de neuf !
De plus, une fois le couple installé, les dialogues convoquant des enjeux féministes toujours d'actualité (lorsqu'Elvis exige à Priscilla de faire passer sa relation avant sa carrière notamment) dénoteront par leur trop grande littéralité. Malheureux, dans un film qui privilégiait plutôt la nuance et la suggestion. A ce manque de finesse flagrant dans l'écriture, s'ajoutera l'impression de voir l'oeuvre s'enliser dans un rythme hypnotique, mais monotone, ponctué d'images magnifiques, mais pas forcément puissantes en terme de sens, d'éloquence, et surtout... D'émotion !
Il y a un coeur gros comme ça qui bat dans Priscilla. Celui d'une protagoniste que Sofia Coppola semble chérir, et qu'elle filme avec un amour indéniable. Sans jamais la considérer comme l'unique victime d'un patriarcat insidieux (on est très loin de Blonde). Mais ce point de vue ouvertement sororal ne parvient pas à sauver un film qui semble à la fois très personnel et... Désincarné.
Un curieux paradoxe s'il en est.
Pas de quoi, cependant, renoncer au voyage : étrange expérience, Priscilla mérite une séance, au moins pour nourrir les débats.