Chaque année en Suisse, des dizaines de femmes voient leurs passeports leur être retirés par l'administration pour d'insidieuses raisons. Plus encore, elles perdent carrément leur nationalité, nous apprend une accablante enquête du quotidien suisse Le Temps, relayée par le média international TV5 Monde. La cause ? Leur divorce. Oui oui.
Pour illustrer cette assertion, Le Temps prend l'exemple de Kadidiatou Kamate. Divorcée, cette quinquagénaire originaire de Côte d'Ivoire, naturalisée Suisse, vivait dans ledit pays depuis plus de six ans. Suite à la prononciation du divorce, l'administration lui a retiré son passeport et a procédé à l'annulation de cette naturalisation.
La raison énoncée est pire encore que cette finalité : les autorités suisses l'accusent de s'être mariée pour obtenir la naturalisation, car, ayant porté plainte contre son époux pour violences conjugales, elle ne pouvait "être honnête" en assurant vouloir faire sa vie avec lui. Un verdict qui sent bon le victim blaming pur et dur.
Et une "procédure intrusive" que, dixit Le Temps, connaissent à l'unisson bien des femmes menacées.
"C'est d'une violence inouïe. Parmi tous les aspects choquants de cet arrêt, je note que les autorités ne prennent aucunement en compte la réalité des violences conjugales. Considérer que les violences conjugales excluent la volonté matrimoniale, c'est ignorer l'état psychologique dans lequel la victime est plongée et maintenue, et la punir – une seconde fois – pour être tombée amoureuse d'un bourreau", déplore au journal Roxane Sheybani, l'avocate de Kadidiatou Kamate. On ne peut dire mieux.
Et cette "violence" juridique semble tristement banalisée en Suisse. Comme l'énonce Le Temps, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM pour les intimes) annulerait chaque année pas moins de 49 naturalisations à la suite d'un divorce, faisant suite à des ouvertures d'enquête au cas par cas. Kadidiatou Kamate se voit plus précisément concernée par la loi sur la naturalisation, effective depuis 2014, prenant notamment en compte la vérification des naturalisations "obtenues par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels".
Vérification qui peut très bien avoir lieu huit ans après l'obtention de la nationalité suisse. Les juges du Tribunal fédéral persistent et signent : les "importantes difficultés de longue date" dont faisait l'objet le couple incriminé mettrait en péril la solidité de leur "déclaration de vie commune". Et expliquerait pourquoi le retrait de passeport et de nationalité de Kadidiatou Kamate serait légitime aux yeux de la loi. Dans cet énoncé, la mention des violences conjugales semble tristement euphémisée. Et c'est la victime qui se voit d'autant plus accablée.
"Cela ressemble beaucoup à une accusation pénale, mais sans les garanties d'une procédure pénale, car ici on renverse le fardeau de la preuve. Le droit suisse actuellement en vigueur a une vision extrêmement conservatrice de la famille, comme une entité stable et immuable. C'est rétrograde !", fustige en retour l'avocat Pedro Da Silva Neves, qui s'est lui aussi occupé d'une affaire de passeport retiré par l'administration suisse après un divorce.
Kadidiatou Kamate, quant à elle, a déjà porté l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme.