Souvenez-vous. C'était l'an dernier. Le 14 juin 2019, pas moins d'un demi million de citoyennes investissaient les rues suisses afin de réclamer le respect de leurs droits les plus fondamentaux. Cette grève historique, la première depuis vingt-huit ans, condensait alors une ribambelle de convictions féministes : la nécessité de l'égalité salariale et la création du congé paternité, la considération des discriminations systémiques entre les sexes et l'égale répartition des tâches ménagères. Un programme aussi cohérent que révolutionnaire.
Mais hélas, le système n'a guère évolué depuis. Alors cette année, rebelote : les femmes sont allées manifester par milliers, notamment contre les violences conjugales et l'écart salarial toujours aussi flagrant. A l'unisson, les manifestantes ont tendu leurs écriteaux à Lausanne ce 14 juin. Et elles ont même crié une minute durant, à 15h24 précisément. Soit l'heure à laquelle les femmes commencent à travailler sans salaire. L'équivalent de notre "5 novembre à 16h47". Un geste symbolique des plus éloquents.
Dans les pages du Guardian, la jeune étudiante Roxanne Errico, dont la mère a été assassinée par son ex-conjoint, insiste quant à elle sur l'importance non seulement politique mais "émotionnelle" de ce vaste mouvement sororal : "Je crie pour moi, mais je crie aussi pour mes soeurs et mes frères, je crie pour tous les autres enfants qui ont perdu une mère ou un père, et je crie aussi pour ma mère, qui aurait crié si elle était encore là".
Ce sont donc les oppressions au sens large contre lesquelles s'indignent les manifestantes : oppressions économique, sexuelle, physique, aussi bien financière qu'assassine. Au cri de protestation contre les inégalités salariales (en Suisse, les femmes gagnent environ un cinquième de moins que les hommes) s'est donc mêlée une minute de silence solennelle, à la mémoire des femmes tuées par leurs conjoints. Une façon de dénoncer dans le même temps la prégnance de la culture du viol et des agressions sexuelles au sein de la société suisse.
Interrogée par le Guardian, une Genevoise septuagénaire - et militante de longue date - dénommée Rose-Angela Gramoni est venue acclamer cette libération de la parole collective, soutenue par des milliers de jeunes femmes : "Maintenant, je peux mourir en paix, la prochaine génération est là pour prendre le relais. Ma génération s'est battue pour beaucoup de choses, mais nous n'avons pas terminé le travail et personne n'était là pour le terminer", explique-t-elle.
Un enthousiasme salutaire. Mais pour Aude Martenot du collectif suisse "Grève des femmes", le combat sera encore long, très long. "[Depuis la grève de l'an dernier] nos revendications n'ont pas été entendues, malgré une conscientisation plus forte de la population suisse. Ce n'est pas au niveau du gouvernement que les choses bougent ! Mais les femmes sont encore là pour porter ces revendications", explique l'activiste à TV5 Monde.
Selon Aude Martenot encore, les inégalités entre les sexes ne sont pas simplement plus visibles après la période de confinement : elles se sont considérablement accrues, entre la charge mentale des salariées travaillant à domicile et le personnel soignant en première ligne pour lutter contre la pandémie. Cependant, précise le quotidien Swiss Info, malgré une précarité plus forte et un partage des tâches ménagères qui laisse sérieusement à désirer, certaines évolutions féministes timides sont venues éclaircir l'orage en un an.
La féminisation plus forte du Parlement suisse par exemple : la proportion des élues au Conseil national est passée d'une année à l'autre de 32 à 42 %. Un très joli score non seulement pour la Suisse, mais aussi pour l'Europe. Ce n'est qu'un début ?