Considérée comme une atteinte aux droits de l'Homme par les Nations Unies, la pratique du mariage forcé résulte d'une tradition très ancienne et reste monnaie courante dans certaines parties du globe : au Bangladesh, au Népal, en Afghanistan... Cependant, leur nombre tend à décroître petit à petit, selon un rapport de l'ONU publié en 2015.
Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Quinze millions de filles sont encore concernées par les unions arrangées. Afin de lutter contre ce fléau, l'UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la population) propose chaque année une campagne de sensibilisation à l'occasion de la Saint-Valentin. Depuis sa création, cette initiative a permis de sensibiliser de nombreuses jeunes filles, qui ont commencé à se soulever contre les mariages forcés.
Aujourd'hui, un nouveau moyen de sensibilisation voit le jour grâce à Nashra Balagamwala. Cette Pakistanaise de 24 ans a inventé le jeu de société Arranged ! Tout aussi divertissant qu'un bon vieux Monopoly en famille, ce jeu dépeint l'enfer de certaines jeunes femmes. A l'instar de ses voisins, le Pakistan est le berceau de mariages forcés, où les parents sont de véritables marieuses, peu importe ce que leurs enfants veulent. "Je ne connais personne dans la génération de mes parents qui a eu un mariage d'amour", commente Nashra.
Dans ce jeu, les joueurs doivent faire tout leur possible pour éviter la marieuse, désignée sous le nom de "rishta aunty". Les mariées en fuite tirent des cartes pour avancer dans le jeu tout en évitant de croiser la route de "rishta aunty", qui les menace de les unir à un des nombreux prétendants dispersés sur le plateau. Il est cependant possible d'épouser l'homme de son choix, même si les chances que cela arrive restent assez minces. "Je voulais que le jeu reflète fidèlement la culture pakistanaise", précise Nashra.
Toute son enfance, Nashra Balagamwala a subi une pression pour se soumettre à un mariage arrangé. Elle a reçu plusieurs propositions de mariage et rencontré de nombreux prétendants potentiels. Tout passait par les parents, sans l'avis ou l'accord des futurs époux. "Je ne pouvais pas accepter le fait de vivre le reste de ma vie avec une personne que je ne connaissais que depuis quelques semaines, une personne qui a été choisie pour moi sur la base de sa richesse, son statut social et d'autres facteurs superficiels", raconte Nashra Balagamwala.
Pour fuir cette situation, Nashra se réfugie aux États-Unis et étudie à la Rhode Island School of Design. Mais la fin de son visa se rapproche dangereusement et la jeune femme ne souhaite pas retourner chez elle, de peur d'être unie à un homme qu'elle ne désire pas. Elle commence alors à travailler sur ce jeu de société, basé sur sa propre expérience. "J'ai pris des exemples des nombreuses choses que j'ai faites moi-même pour sortir d'un mariage arrangé. Poursuivre ma carrière, porter une fausse bague de fiançailles, avoir des amis garçons ou encore avoir une peau plus foncée (ce qui est considéré comme moins attirant dans sa culture, ndlr)."
Celle-ci ne pensait pas que créer ce jeu l'aiderait à se sortir d'un mariage arrangé. "J'ai voulu parler d'un sujet qui met les Pakistanais mal à l'aise. Maintenant, je ne suis plus la mariée soumise et parfaite qu'ils cherchent !", rigole la jeune femme. La jeune pakistanaise a lancé un appel aux dons pour lancer son projet. L'objectif des 6000$ du jeu ont été atteints 17 jours avant l'échéance. A ce jour, Nashra a déjà reçu plus de 200 commandes de son jeu. "Je pense sortir près de 500 exemplaires lors de la première production qui va bientôt démarrer."
Selon Nashra, Arranged ! est un bon moyen de discuter des mariages arrangés : "il y a plus de chances que les gens aient une conversation à propos de quelque chose qu'ils expérimentent ensemble." La jeune femme a reçu des messages du monde entier pour l'aider à prolonger son visa et améliorer sa situation. Mais aussi pour la soutenir dans son projet. "Beaucoup de filles pakistanaises m'ont remerciée d'avoir parlé de quelque chose de si important. Mais j'ai également eu de nombreuses critiques. Beaucoup de Pakistanais m'ont fait des remarques négatives et m'ont dit que j'étais une honte parce que je ne respectais pas la société."
Au Pakistan, les filles prennent le risque de se faire tuer lorsqu'elles décident de désobéir à leurs parents. En 2011, la Commission des droits de l'Homme au Pakistan rapportait que 23% des homicides d'honneur étaient liés au désir de la victime de choisir son propre conjoint.
Nashra a dû repartir dans son pays natal au début du mois d'août. Mais celle-ci ne compte pas arrêter ses démarches. "Parler des mariages forcés a été l'une des choses les plus difficiles que j'ai eu à faire. J'aurais pu perdre beaucoup mais j'ai tenu à le faire dans l'espoir qu'un jour, une fille aura le courage de faire de même", confie-t-elle. Décidément incroyablement courageuse, la jeune femme a ajouté qu'elle continuera de se battre jusqu'à ce qu'elle rencontre "l'homme avec lequel [elle souhaite se] marier".