Dans le film Jusqu'à la garde, le thriller tendu de Xavier Legrand, la police intervient à la dernière seconde et sauve la maman terrorisée par son ex-mari. Dans la vraie vie, celle de Julie, personne n'est venu, malgré ses appels au secours répétés.
"- Son arme ? Mais tant qu'il ne s'en est pas servi, on ne peut rien faire, madame !".
Et dès lors, c'est un autre scénario, pourtant si prévisible, qui s'est joué : la chronique d'une mort annoncée.
Julie a vécu un cauchemar. Elle savait que son ex-compagnon pouvait la tuer, mais elle ne pouvait imaginer fuir la Corse sans ses enfants qui avaient été provisoirement confiés au père jusqu'au résultat de l'enquête sociale. Julie a donc tenté de tenir jusqu'à obtenir la garde. Et c'est sans doute au moment où ses enfants allaient lui être rendus que le père est passé à l'acte.
Julie savait que Bruno Garcia était capable du pire, elle connaissait intimement sa violence destructrice. Plus d'une fois, elle avait lu dans ses yeux ses pulsions meurtrières. Il y avait d'ailleurs ce pistolet dont elle verrait, elle en était sûre, surgir le dernier éclair. Et puis, il l'aurait si souvent tabassée, humiliée, jetée dehors dans la nuit, nue.
Mais elle n'a pas pu se résoudre à se mettre à l'abri au loin, pas sans ses enfants, "sa vie", "son bonheur".
Pourtant, Garcia, un homme "rigide, associable et maniaque à l'extrême" selon les proches, ne cessait de la menacer, verbalement, par SMS, en public. Désespérée, Julie s'en ouvrait à qui voulait l'entendre et implorait les gendarmes de la protéger. En vain. Vivant seule, la jeune femme avait donc mis au point un signal d'alarme avec sa voisine du dessous, Maryse. Celle-ci devait alerter immédiatement la police lorsqu'elle entendrait des cris.
Un jour de l'été 2018, Julie est une nouvelle fois jetée à la rue par son concubin et passe la nuit dans sa voiture. Au matin, elle décide de ne pas rentrer, laissant les enfants au domicile, avec leur père. Ce choix est un déchirement, mais la jeune mère n'a plus la force de subir les rages dévastatrices de Bruno Garcia, elle va y laisser sa peau.
Alors elle décide de se battre "de loin" par tribunal interposé : la justice va les protéger, elle et ses enfants, c'est sûr... Hélas, l'audience est programmée fin janvier, une éternité. Alors, pendant de longs mois, Julie survit sans les petits. Elle les ne voit que lorsque le père y consent, généralement du mardi au mercredi, jour où elle accompagne "ses petits mecs" au foot.
Le 28 janvier, la JAF valide cet "équilibre" obtenu par la terreur, et fixe provisoirement la résidence chez le père, en attendant les résultats d'une enquête sociale : "La séparation était conflictuelle et mettait en cause à la fois la mère et le père", se justifie-t-on au palais.
L'entourage accuse, aujourd'hui : son amie Roselyne crie son indignation dans une lettre ouverte : "Vous, Madame la juge, avez décidé de priver une mère modèle de ce qu'elle avait de plus cher dans la vie. Au-delà de sa vie ! Julie s'est battue pendant 6 mois et a été privée de ses enfants pendant tout ce temps..."
Selon le Parquet de Bastia, cette tragédie survient donc sur fond de "séparation très conflictuelle", cet euphémisme qui sous-entend qu'en gros, il y aurait eu là une classique "mésentente" entre deux personnes qu'il convenait, jusqu'à preuve du contraire, de renvoyer dos à dos... Pourtant, la relation était de toute évidence d'un autre ordre : il y avait un agresseur et une femme agressée, il y avait un persécuteur et une victime, et non un "couple terrible". Et que dire de ce que pouvaient vivre les enfants ?
"Les violences conjugales ne sont pas un conflit. Elles sont unilatérales, avec un seul auteur, et autant de victimes que de membres de la famille. Si l'on protège la mère, on lui redonne les moyens de protéger son enfant", selon le magistrat E. Durand. Qu'en a-t-il été ici ?
Les proches de Julie décrivent clairement un terrorisme familial : "Il était capable de lui faire des crises très violentes pour un verre sale qui traînait dans l'évier" ; "Il cherchait constamment à la rabaisser" ; "Il ne voulait pas qu'elle travaille, elle ne sortait jamais". Maryse, la voisine, évoque une forme de prise d'otage : "Il lui avait déchiré sa carte d'identité ainsi que celles des enfants pour qu'elle ne quitte pas l'île".
Garcia estimait-il avoir sur Julie un droit de vie ou de mort ? Elle aurait confié : "Je suis sa chose, je lui appartiens". Car ces despotes domestiques sont connus depuis la nuit des temps, et longuement décrits dans la littérature psychiatrique : ce sont tour à tour les "bilieux", les "maniaques", les "paranoïaques". Mais ce sont bien des tyrans : irascibles, soupçonneux, jaloux, pointilleux, violents, ils ruminent, se sentent outragés, spoliés, et donc se vengent, sans pitié. Ils pensent régner en maître absolu sur leur famille, qui est leur propriété, et dans leur grandeur, ils ne reconnaissent d'autre loi que leur volonté.
Les témoins s'accordent aujourd'hui pour confirmer que la situation, explosive, ne pouvait finir autrement. Garcia s'ingéniait "à enfumer les forces de l'ordre et du droit" en portant systématiquement, "en miroir", des plaintes contre Julie, l'accusant notamment d'avoir dégradé la porte de son domicile. Et de ces plaintes ou mains courantes, déposées par Julie, par son père, ou par Garcia de son côté, il y en a une longue liste, révélée par le procureur après le meurtre... Toutes classées sans suite, pour "infraction insuffisamment caractérisée".
Selon la décision de garde, Julie devait être avec ses enfants le jour de sa mort, ce dimanche terminant leur semaine de vacances commune. Mais, selon l'une des amies de Julie, Garcia l'aurait harcelée pour qu'elle lui remette les enfants avant le week-end. A bout de force et terrorisée, Julie y avait consenti "car elle ne voulait pas d'histoires". Il est donc venu chercher les enfants à 16h30 le vendredi. Le samedi, les enfants ont participé normalement à leur match de foot habituel avec leur père. Le dimanche matin, celui-ci a confié les enfants à un proche. Il est parvenu sans grande difficulté à entrer chez Julie, sur qui il a tiré deux balles de 9 mm.
En entendant les bruits de meuble renversés, Maryse s'est précipitée chez sa voisine. Comme convenu. Elle a trouvé Julie allongée sur sa terrasse dans une flaque de sang. Dans un spasme, Julie a soufflé : "Il m'a tuée".
Comme elle l'avait prédit.
Par Caroline Bréhat et Thibaud Leclech du Cabinet Rivages.
Caroline Bréhat est l'autrice du livre "Mauvais Père" aux éditions Les Arènes