"S'il se comporte comme ça, c'est parce qu'il va mal", "Je ne suis pas une victime", "Je sais que ce n'est pas normal mais je l'aime"... Ces phrases vous semblent trop familières ? Elles sont effectivement loin d'être rares, dans les témoignages de victimes de violences conjugales. Et peut-être avez-vous déjà entendu l'une d'elles dans votre entourage.
Chacune de ces formulations traduit un même sentiment, paradoxal : la culpabilité qu'éprouve la victime de violences au sein du couple. Rien d'étonnant hélas dans une société où le victim blaming (les jugements relatifs aux attitudes des victimes) est à ce point banalisé, et le duo "amour & violence" envisagé comme le comble du romantisme. C'est cette réalité critique qu'explore justement la photographe et documentariste Lisa Miquet dans une série documentaire à rattraper sur YouTube : A double tour.
"A Double Tour questionne la violence au sein du couple. Qu'est-ce qui fait qu'on reste dans une relation violente ? Pour comprendre, je suis allée à la rencontre d'une dizaine de femmes qui ont été victimes, mais aussi d'associations spécialisées sur ces sujets, d'avocates, de psychologues", nous explique la réalisatrice. Chaque épisode (il y en aura dix) déconstruit une par une les pensées relatives à une situation d'emprise.
Essentiel.
"L'amour est au centre de nos vies, de nos discussions, rêves et fictions. Une belle histoire d'amour c'est de la joie, de l'énergie, des sourires niais, une forme d'état de grâce. Et pourtant, en France, chaque année, 225 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Des femmes qui au début devaient avoir des papillons dans le ventre lorsqu'elles ont rencontré celui qui allait montrer un autre visage", développe Lisa Miquet.
En partant de ce constat, se poser la question du "pourquoi ?" permet de déboulonner une autre phrase, récurrente, la fameuse "Pourquoi tu es restée ?". En privilégiant la polyphonie et les mots des principales concernées, A double tour s'attarde sur la complexité du quotidien conjugal quand celui-ci se fait toxique et violent. Car "l'une des meilleures façons de se protéger, c'est aussi de comprendre", explique la réalisatrice.
Comprendre quoi ? Que souvent, la violence s'insinue petit à petit ("Les premiers mois, c'était l'amour absolu, de vraies âmes-soeurs", explique Hélène). Qu'elle est également verbale, psychologique. Que la toxicité et la maltraitance se traduisent par des hauts et des bas ("C'était une balance : il y avait du très très mal, et du très très bien"). Que l'espoir du mieux, et l'idéalisation de l'amour, et par extension le déni, sont indissociables de cette situation d'emprise. "Le fait que je l'aime effaçait tout le reste", entend-t-on.
Entre autres vécus, relatés avec minutie et pudeur. Une série documentaire nécessaire pour mieux entendre ce qui est trop souvent euphémisé, déformé et jugé, donc. Mais aussi pour déconstruire toute une culture du romantisme toxique, à l'heure où les voix révolutionnaires d'aujourd'hui et de demain font de l'amour, redéfini, émancipé des injonctions (au couple notamment), égalitaire, la nouvelle grande lutte féministe.
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.