Yseult est KO. La faute à une vilaine bronchite, au rythme intense de la promo. La chanteuse de 25 ans dégage pourtant une belle énergie, mue par une envie contagieuse de défoncer toutes les portes. Révélation de la saison 10 de la Nouvelle Star en 2014, Yseult s'est tout d'abord fondue dans les rouages de l'industrie musicale avec un album qui ne lui ressemblait pas. Au risque de se perdre. Entière, elle a choisi de trancher dans le vif, prenant son indépendance pour produire un EP infiniment personnel. Et copine aujourd'hui avec Chilla ou Angèle (dont elle a assuré les premières parties), cheffes de fil de cette nouvelle génération qui veut en découdre avec le vieux monde.
Sur Noir, Yseult se dépouille au sens propre comme au figuré. Sur la pochette, sa peau nue, sans retouches. Dans ses chansons de pop urbaine mâtinées de spleen, elle dévoile ses peines, ses colères, ses espoirs sans filtre. Cinq titres introspectifs qui la racontent enfin, comme une "thérapie", confesse-t-elle.
Elle le répète à l'envi : "Je n'ai pas le temps". Car oui, Yseult cultive l'impatience, a soif de reconnaissance, de musique, d'authenticité et de lumière. Le jour de notre rencontre, elle s'est allongée sur le canapé, prête à se livrer, désarmante de sincérité.
Yseult : Noir, c'est aussi le titre de l'une des chansons dans laquelle je liste tout ce qui est sombre. Manque d'amour, absence familiale, manque d'argent, quémander du respect... Ce n'est pas une chanson joyeuse. Elle est grave, triste.
Y : Oui, il y a des gens qui ont la chance de pouvoir se payer un psy. Mais le fait d'être en indé, de me produire, de me manager, de tout faire toute seule, de pouvoir juste créer, me permet de raconter beaucoup de choses. Et de surtout faire face à pas mal de trucs que j'essayais de fuir, de cacher ou diluer. Ce projet me fait du bien.
Y : Dans la musique, en France, les gens ont un complexe avec ça. Pour une certaine partie du public, cela rassure. On se dit : "Ah, elle a les pieds sur terre". Du coup, les artistes s'autocensurent alors qu'en off, c'est autre chose. On joue souvent un personnage... Si on doit s'inventer un caractère faussement humble pour se faire aimer du grand public, la démarche est hypocrite et fausse.
Aux Etats-Unis, ils n'ont aucun complexe avec ça. J'étais à New York il y a quelques jours, je regardais X-Factor à la télé : un tout-petit arrive sur scène et quand on lui demande s'il a le talent pour faire cette émission, il répond : "Bien évidemment !" et tout le monde applaudit. En France, jamais ça n'arriverait, on penserait qu'il a la grosse tête.
Y : Oui, à fond ! C'est ce qui permet d'avoir confiance en moi. Je déteste douter. Donc je me dis : "Si tu fais de la musique, c'est parce que tu kiffes la musique, que tu excelles là-dedans et que tu travailles". Et si quelqu'un vient te faire des compliments, accepte-les et dis : "Merci beaucoup". Tu n'as pas à t'excuser.
Y : Malheureusement, oui. Même en étant en indé, car je dois gérer des équipes et des personnes parfois beaucoup plus âgées que moi me font comprendre qu'elles ont beaucoup plus d'expérience et patati et patata... Mais je ne me laisserai jamais marcher sur les pieds. Les gens sont très complexés et ce délire de supériorité cache souvent un manque de confiance en soi, je pense.
Y : Pas dans le milieu de la musique, non. Je touche du bois ! Je suis plutôt confrontée à un manque de respect, en permanence. Tous les jours, je lutte.
Y : Je dirais qu'être une femme noire et faire ce que je fais aujourd'hui, à savoir de la variété française et pas du R'n B ou de la musique qui bouge comme du zouk, c'est chaud. Je ne rentre pas du tout dans les cases. Je suis noire et je fais de la variété française avec du piano-voix. Et comme je suis seule sur ce filon pour le moment, je sais que je vais peut-être ramer.
Par contre, je serai tellement fière car j'aurais été la première. Et j'ouvre la porte à d'autres femmes noires qui veulent faire de la variété. On n'est pas cantonné à faire un type de musique. Oui, nous aussi, on peut faire de la variété !
Y : Je trouve que ça commence à bouger : il y a Pomme, qui a sorti un album incroyable, Sally, Angèle, Aya Nakamura, Chilla, Lous, Hoshi, Laurie Darmon, Alma... Il y a plein de nouvelles filles qui ont sorti des albums très stylés en 2019. Je pense que nous sommes entrés dans une ère qui permet aux artistes d'être qui ils sont réellement, notamment grâce aux réseaux sociaux. Le public est en demande.
Y : J'ai l'impression que le fait que des filles comme Angèle ou Aya Nakamura cartonnent a créé un déclic dans la tête des gens qui détiennent les clés au sein des labels. Ils se disent enfin qu'il y a plein de choses à faire. On a été trop timides jusqu'à présent. Là, nous sommes en mode "girl power", on a envie de tout niquer, comme dirait Angèle !
Y : Cela commence par le fait de ne pas se comparer aux autres et d'assumer qui on est vraiment, avec nos défauts et nos qualités. Et accepter les critiques constructives.
Y : Après coup, je me suis surtout sentie bien, légère. Je pense que j'ai fait une croix sur celle que je n'aimais pas. Cela a été un déclic, une reconstruction. Une personne ne change pas, elle évolue. J'ai arrêté de lutter, je ne veux plus perdre mon temps. Je me bats contre moi-même, je me bats contre celle que j'aimerais d'être et que je ne suis pas au final. Et j'ai vraiment envie d'être en paix et sereine.
Y : Oui, j'ai pleuré avant et après. Je n'avais pas initialement compris l'ampleur du message. Cécile, la directrice artistique, m'a d'abord présenté un moodboard de ce à quoi allait ressembler mon EP. Et je me suis dit : "OK, je vais taper la pose nue". Mais le jour J, je faisais moins la maline...
Il y avait un vrai lien avec ce que je raconte dans ma musique : quelque chose d'intime, d'introspectif, personnel. C'est quelque chose que je ne pouvais pas faire à moitié. Dans ma musique, je fais face à celle que je suis. Et visuellement, on a réussi à faire la même chose. Quand j'ai vu la pochette, je me suis dit : "Et c'est tout ?". Et la directrice artistique m'a regardée et m'a dit : "Meuf, on est en 2019... Et c'est un plan serré sur un bourrelet sans retouches !". C'est fort.
Y : Cela m'a permis de réaliser que je valais quelque chose. Je me suis dit que je pouvais prendre soin de moi tout en restant moi-même. Et c'est très agréable de travailler avec une marque qui ne fait pas en sorte de te changer. Je faisais une taille "je-ne-sais-pas-combien" et ils m'ont prise telle qu'elle. Ils ne m'ont pas demandé de faire un régime pour pouvoir rentrer dans une robe de la taille en-dessous. Je mangeais mes pizzas sur le shooting, tranquille. C'était très cool.
Y : Je trouve ça dommage de créer une communauté qui exclut certaines personnes. Le mouvement qui prône l'acceptation de soi est cool, à la base. Mais aujourd'hui, il semblerait que certaines personnes affirment qu'il ne serait réservé "qu'aux rondes". Pourquoi discriminer ? Il y a aussi l'argument marketing qui se sert d'une fille grosse pour parler de ses thématiques. En 2020, on aurait encore besoin d'éduquer sur la grossophobie, sur le body positivisme ? On en est là, sérieux ?
Y : Pour l'heure, je pense que je n'ai pas encore les épaules. Il faudrait que mon discours soit plus mature et carré. J'aimerais beaucoup le faire, j'essaie. Par exemple, j'ai ouvert un compte Instagram contre le harcèlement sexuel. Mais le temps me manque tellement. Parce que mine de rien, être en indépendante, ça demande beaucoup de travail. J'aimerais me poser et faire les choses bien : rencontrer les associations, faire des dons, organiser des trucs...
Y : Je suis pour l'égalité entre les hommes et les femmes et même pour l'égalité entre tout le monde, entre un homme et un animal par exemple. On est dans une ère où défendre un mouvement, faire partie d'une communauté ou d'un mouvement est tellement à la mode qu'on en perd l'essentiel, voire même la définition. Donc oui, je suis pour l'égalité hommes-femmes, après je pense que le reste me dépasse.
Y : La première, c'est ma mère parce que c'est une putain de battante. Avoir des enfants à sa charge, remplir un frigo pour nourrir ses gosses et leur donner une éducation, il faut avoir des couilles et elle en a.
La deuxième femme qui m'inspire, c'est Nina Simone : c'est quelqu'un qui n'a jamais été dans le compromis.
Et puis la chanteuse FKA Twigs. C'est une meuf acharnée aussi.
Y : Rose dans Titanic. Elle me saoulait, elle était trop "gnangnan". Mais je l'aimais bien tout de même parce qu'elle était trop stylée et qu'elle sortait avec Leonardo DiCaprio.
Y : L'égalité salariale, j'attends ça avec impatience, ça serait pas mal. Et je dirais surtout le respect. Une femme qui tape du poing, ce n'est pas parce qu'elle est "hystérique" : j'ai juste le droit de taper du poing comme toi tu tapes du poing.
Y : Tout est gore de Lous parce que ça twerke et qu'on aime ça ! (rires)
Y : "L'argent ne fait pas le bonheur". Moi, je le remixe en mode : "L'argent fait le bonheur", tout simplement. Parce que c'est la vérité.
Y : Que le talent ne suffise pas. Mais un jour, ils comprendront et ils coopéreront (rires).
Yseult, mini-album Noir, actuellement disponible