Elles volent, virevoltent, brisent les lignes bétonnées... Les skateuses de Betty sont des danseuses sur roulettes. C'est d'ailleurs ce ballet urbain qui a immédiatement fasciné la showrunneuse Crystal Moselle. "La manière dont elles s'approprient le trottoir, les rues, l'architecture est magnifique. C'est comme une danse, j'y vois du Pina Bausch", nous confie la réalisatrice américaine. L'idée de ce show axé sur une joyeuse tribu de rideuses a germé il y a plusieurs années déjà. Au hasard des couloirs d'un train, la documentariste croise une bande de nanas au swag ravageur, planche sous le bras. Elle les aborde, crée du lien.
"Quand je les ai rencontrées il y a quatre ans, on a été prendre un café, on a commencé à parler et elles m'ont raconté ce que c'était d'être une jeune femme qui fait du skate à New York. Elles m'ont fait confiance très tôt." Crystal Moselle va observer ces aventurières de l'asphalte, les regarder sillonner la ville et en tirera un premier film, le joli Skate Kitchen (2019). La petite équipe de Betty était née. Car ce sont les bouilles de toutes ces actrices non-professionnelles (Rachelle Vinberg, Nina Moran, Moonbear, Dede Lovelace, Ajani Russell) que l'on retrouve dans la série produite par HBO, chaîne qui avait flashé sur le long-métrage. "Ils voulaient faire une histoire inspirante et optimiste sur les jeunes. Donc je leur ai donnée !", sourit la cinéaste. Mêmes personnages, intrigue très similaire, les six épisodes de Betty se découpent comme autant de tranches du film originel. Avec en bonus une véritable "street cred", les jeunes skateuses tenant également le rôle de consultantes sur la série.
L'originalité de Betty ? Sa narration. Car loin de suivre une construction linéaire classique avec son lot de cliffhangers, le show se déploie comme une vaste déambulation à travers un New York écrasé de soleil, filmée en un "flow" nonchalant. Comme ces filles qui quittent leur appart de Brooklyn le matin sans autre but que celui de se retrouver pour une session, la série se laisse porter. Collée aux semelles de ses "girls", Crystal Moselle saisit des scènes de glisse aériennes d'une beauté étourdissante, capte des dialogues légers, en apparence anecdotiques, derrière lesquels affleure toute l'insouciance de la jeunesse.
Il y a du Gus Van Sant chez Betty, dans cette façon contemplative de capturer l'énergie et la désinvolture des teenagers. Ce n'est pas tant l'histoire qui compte, mais l'atmosphère et la galerie de personnages qui défilent au gré des pérégrinations de la bande (délicieusement queer). On fume de la weed allongées sur le béton, on court après un sac à dos, on papote de "pussies" et de "dicks", de mecs et de meufs, on flirte timidement aux abords du skatepark. "Elles le disent, elles ne sont pas pros du skate. Leur état d'esprit, c'est le fun. Tu n'as pas besoin d'être la meilleure. L'essentiel, c'est de s'éclater", souligne la réalisatrice.
Au coeur de cette chronique ado, la sororité bien sûr, la "famille de coeur" que ces filles se sont créée. "Ce que j'ai aimé dans ce groupe de filles, c'est qu'elles sont gentilles, elles ne sont pas vicieuses et méchantes. Elles créent de l'espace pour les autres femmes." Et pas question de caricaturer l'opposition filles-garçons au sein du skatepark. "C'est d'ailleurs pour cela que la série s'appelle Betty. C'est une façon de se réapproprier ce terme péjoratif qui désigne à la base les femmes qui traînent avec les skateboardeurs plus qu'elles ne pratiquent elles-mêmes."
Ici, le milieu du skate n'est pas présenté comme un boys club sexiste et discriminant, mais plutôt comme une communauté inclusive dans laquelle les filles ont leur place. Tout simplement parce qu'elles osent la prendre et la revendiquer sans complexes. Tout comme elles réinvestissent l'espace urbain à coups de tricks et d'éclats de rire. Betty exulte la liberté. Et on savoure cette très jolie série comme un immense bol d'air et de coolitude en ces temps confinés.
Betty, série américaine de Crystal Moselle
Diffusée en France sur OCS