"You're gonna love this, 'cause I'm a bad bitch", chante Madonna dans son dernier clip, entourée de ses copines Beyoncé, Katy Perry, Nicki Minaj, Miley Cyrus et Rita Ora. Traduction : "vous allez adorer ça, car je suis une ... salope". Oui, "bitch", ce mot que vous entendez partout, n'est pas franchement élogieux pour la gente féminine. Signifiant tout d'abord "chienne", le mot est devenue une insulte sexuellement connotée, à l'image de "pute". Le terme a évolué désignant aussi une femme au comportement méprisable, une femme agressive, grande gueule, que l'on peut traduire par "salope" ou "poufiasse". Il est aussi chargé d'une notion de supériorité envers la personne que l'on traite de "bitch". En somme, un mot pas franchement sympathique.
Mais alors, comment les femmes se sont-elles retrouvées à utiliser ce mot loin d'être féministe ? C'est que certaines ont décidé de se le réapproprier. Dès la fin des années 1960, l'activiste féministe Jo Freeman, dite Joreen, publié le "Bitch Manifesto" ("Manifeste de la Bitch"). Partant du principe que les femmes se faisant traiter de "bitch" sont des femmes fortes, qui énervent surtout par leur liberté de ton et d'esprit qui déplairait aux hommes, elle écrit : "'Bitch'" sert à isoler et discréditer socialement un groupe de personne qui ne se conforme pas aux comportements sociaux acceptés par la société. [...] Une femme devrait être fière d'être une "bitch" parce qu'une "bitch" est magnifique !". Le terme jadis péjoratif se charge alors d'une connotation féministe.
Le phénomène se renforce dans les années 1990. Madonna, qui, au début de la décennie, ne voulait pas qu'être ambitieuse pousse les gens à la traiter de "bitch", se met à revendiquer le mot, jusqu'à déclarer : "Je suis forte, ambitieuse et je sais exactement ce que je veux. Si ça fait de moi une "bitch", OK !" Deux féministes américaines, Lisa Jervis et Andi Zeisler, lance ainsi, en 1996, le magazine féministe Bitch Magazine. Cette dernière explique au New York Times : "Quand nous avons choisi ce nom, nous nous disions qu'il serait bien de récupérer le mot "bitch" pour des femmes fortes et franches, à la manière dont les gays se sont réappropriés le mot "queer" ".
En 1999, c'est la rappeuse Trina qui reprend le mot en titre de son album, se couronnant "Da Baddest Bitch". Et si, comme l'explique Vice, elle reste assez une puriste dans sa définition de "bitch", à savoir une femme excessivement sexuelle, c'est cette fois elle qui revendique sa sexualité.
Et s'appropriant les "carastéristiques" d'une "bitch" et en les revendiquant, arguant qu'il n'y a aucun problème à aimer le sexe et avoir du caractère, les femmes s'approprient le mot. "Utiliser le mot 'bitch' pour soi-même, c'est comme avaler un comprimé de pouvoir", explique Sophie Bramly, photographe et productrice, connue pour avoir immortalisé la culture hip hop naissante à New York au début des années 80. "C'est un signe de puissance qui dit : 'Je suis investie sexuellement et, surtout, je ne suis pas soumise.'"
Le mot fait alors son chemin, se retrouve dans la bouche des gays et des Valley girls (ces filles de la banlieu de Los Angeles), comme un petit nom sympa pour appeler ses amis, un peu comme "pétasse" en français (comme si vous n'aviez jamais appelé vos copines "pétasse"!). Il gagne alors en popularité jusqu'à la consécration. En 2007, Britney Spears introduit l'album de son come-back avec le légendaire "It's Britney, bitch !". "Bitch" devient mainstream.
Les popstars s'en emparent et usent de "bitch" à foison dans leurs chansons. Madonna n'est pas la seule à s'en revendiquer, Lady Gaga dans son tube Bad Romance déclare être une "free bitch, baby". A l'inverse, d'autres continuent d'utiliser le mot de manière plus péjorative envers autrui. Ainsi, Rihanna chante que cette "bitch better have [her] money" alors que Beyoncé explique à ses détracteurs qu'ils feraient mieux de "bow down, bitches".
Deux façons de voir le mot qui posent question, "bitch" portant toujours une connotation négative et de supériorité ("You better work, bitch"- "Tu ferais mieux de bosser, pétasse" ordonne Britney). Mais alors, une femme peut-elle vraiment se revendiquer une bitch ? Pour certains, c'est un mot bien trop misogyne pour être accepté dans le langage courant. Pour les sociologues Sherryl Kleinman, Matthew B. Ezzell et A. Corey Frost, qui ont présenté en 2009 "Les méfaits sociaux de bitch", utiliser dans le langage courant un mot à connotation négative envers les femmes reviendrait à accepter que les hommes l'utilisent pour les rabaisser.
Mais cette idée ne fait pas l'unanimité, et est une vision très conservatrice du féminisme pour Sophie Bramly : "Il est évidemment que le sens des mots bouge avec l'utilisation qu'en font les gens." Se revendiquer "bitch" pourrait donc être une affirmation de pouvoir tout comme une insulte, c'est avant tout une question de contexte dans lequel le mot est utilisé.
Madonna en est consciente et l'expliquait en février au magazine Billboard : "Si je vous dis "Je suis une badass bitch", je me revendique, je dis : 'Je suis forte, je suis résistante, ne me cherche pas'. Si je dis : 'Pourquoi tu es autant une bitch avec moi ?' et bien, ça veut dire quelque chose d'autre."
Une Madonna qui ne compte pas arrêter d'utiliser le mot, tout comme ses copines popstars. Et vu le nombre de fois qu'on risque d'entendre son dernier titre cet été, il semblerait que le mot "bitch" ait encore de beaux jours devant lui !