Dans le paysage cinématographique indien dominé par Bollywood, Déesses indiennes en colère de Pan Nalin a de quoi surprendre et choquer. Ici, pas de princesse belle mais muette à sauver, ni danse de séduction endiablée entre un héros forcément parfait et sa dulcinée. À mille lieux des clichés éculés des productions indiennes traditionnelles, Pan Nalin a préféré jouer la carte de la modernité en dressant un portrait multiple et toujours juste des femmes indiennes d'aujourd'hui.
Frieda, Mad, Nargis, Joanna, Suranjana, Lakshmi et Pamela n'ont rien à voir avec les poupées sans personnalité qui peuplent les productions bollywoodiennes. Belles, fortes et indépendantes, elles sont chanteuse, actrice, photographe de mode, activiste ou encore femme d'affaires. Toutes se retrouvent dans une belle et grande maison à Goa pour célébrer le mariage de l'une d'entre elles. Entre frivolités et confidences, prises de bec et vrais moments d'amitié, ces sept héroïnes nous laissent voir ce à quoi ressemble la vie d'Indiennes du XXIe siècle.
"L'idée de Déesses indiennes en colère m'est venue il y a cinq ou six ans lorsque plusieurs de mes amies, toutes citadines, m'ont fait remarqué que dans les films de Bollywood, les femmes étaient reléguées au second plan. Elles sont la jeune femme à sauver, la mère, la soeur, celle qui danse... Mais jamais l'héroïne, nous explique le réalisateur Pan Nalin. Les femmes de Bollywood ne représentent pas du tout la femme indienne moderne. Il y a évidemment une majorité de femmes qui vivent dans les campagnes, mais il ne faut pas oublier qu'il y en a aussi 300 millions qui vivent dans les villes, qui sont éduquées, qui travaillent. J'ai eu envie de parler de ces femmes-là."
Entouré d'actrices prometteuses dont certaines sont des stars en Inde, Pan Nalin offre à ses sept héroïnes un formidable terrain de liberté. Sans pathos ni carcan, elles évoquent leurs désirs, leurs craintes, leurs aspirations. Elles jurent, elles crient, elles râlent, quitte à parfois friser l'"hystérie" collective. Mais ces sept filles à la Sex and the City ne sont pas coupées du monde, comme nous le rappelle un terrible événement qui se déroule à la moitié du récit. Au "film de copines", se substitue bientôt un drame noir où nos héroïnes se transforment en Kali, la déesse à l'allure vengeresse qui préserve les faibles et détruit les mauvais esprits. "Je ne voulais pas que Déesses indiennes en colère soit limité à un seul genre cinématographique, mais qu'il ressemble à la vraie vie. Dans la réalité, nos existences ne ressemblent pas à une comédie ou à un drame ou à un film d'horreur. Tout peut basculer en un instant", note le réalisateur de Samsara (2001) et La Vallée des fleurs (2007).
À l'image du beau La Saison des femmes de Leena Yadav, sorti en avril, Pan Nalin évoque sans gant le destin des femmes indiennes dans une société très traditionnelle et profondément patriarcale. Mariages arrangés, viols collectifs, discrimination sexuelle, harcèlement, homosexualité... Autant de thèmes qu'aborde Pan Nalin, au grand dam des conservateurs et de l'extrême-droite indienne, qui a cherché à interdire la sortie du film en salle.
Sorti en décembre sur les écrans indiens, le film a suscité une immense controverse, le Conseil Central de Certification des Films (CBFC) ne supportant pas de voir à l'écran des femmes boire, fumer, jurer, s'aimer – bref vivre – sans entrave. Amputé d'une partie de ses scènes les plus "polémiques", Déesses indiennes en colère n'a pourtant pas manqué de déclencher l'ire des conservateurs, qui ont reproché au réalisateur de donner une image dépravée des femmes indiennes. Menacé de mort par des membres de l'extrême-droite qui ont promis de lui "réserver le même sort qu'aux caricaturistes de Charlie Hebdo", Pan Nalin a néanmoins réussi l'impensable il y a encore quelques années : susciter le débat et mettre en lumière la condition féminine en Inde. Soutenu par une grande partie de l'opinion publique et une partie des médias, le film constitue un véritable tournant dans le cinéma indien en étant reconnu comme "le premier film indien centré sur des femmes". Et pas n'importe quelles femmes. Des Indiennes fortes, indépendantes et maîtresses de leur vie qui ont, espère le réalisateur, inspiré les milliers de jeunes femmes qui se sont déplacées dans les salles de cinéma. C'est tout ce qu'on leur souhaite.
Déesses indiennes en colère de Pan Nalin, avec Amrit Maghera, Rajshri Deshpande, Pavleen Gujral, Anushka Manchanda, Sandhya Mridul, Sarah-Jane Dias, Tannishtha Chatterjee (1h43). En salle mercredi 27 juillet 2016.