Elles sont quatre, vivent dans un village imaginaire de l'État de Gujarat en Inde et ont une envie commune : s'émanciper de leur milieu patriarcal et vivre enfin, respirer librement. Avec La Saison des femmes, son troisième long-métrage, Leena Yadav nous offre une oeuvre féministe et féminine, puissante et qui colle à la peau. Ces femmes qui mènent la danse répondent au nom de Rani, Lajjo, Bijli et Janaki. La première est veuve depuis l'âge de 15 ans, drapée dans ses vêtements de deuil, elle s'endette pour trouver la femme parfaite à son fils Gulab, un adolescent insupportable. Entre alors en scène la mariée, Janaki. Belle à pleurer mais victime de ce mariage forcé qui tourne rapidement au vinaigre. A leurs côtés, Lajjo se débat face à un mari violent qui l'accuse d'être stérile, tandis que l'incandescente Bijli se demande si la prostitution l'a vraiment aidé à s'émanciper des hommes.
Inspirée par ses nombreuses rencontres avec des femmes installées dans des villages ruraux de l'Inde, Leena Yadav a voulu montrer que dans son pays comme ailleurs, les traditions ancestrales peuvent être brisées, les mentalités peuvent être changées. La saison des femmes est un film grave mais gorgé d'espoir. Il y a de la violence, mais aussi de la couleur, des regards plus forts que des mots, et sous les coups, des sourires radieux et de l'humour. Les quare héroïnes de La Saison des femmes sont épatantes, fortes et superbes. On a rencontré la cinéaste dans un hôtel parisien avant son retour en Inde où elle tentera de faire passer son film auprès du comité de censure. Croisons les doigts...
Leena Yadav : Je cherchais une idée de scenario et j'ai rencontré des femmes qui vivaient dans un village comme celui que je décris dans le film. Quand je suis rentrée à Bombay, j'ai soudain réalisé que les mêmes histoires se déroulaient dans cette grande ville. Et puis j'ai envoyé mon scénario à des amis réalisateurs à travers le monde entier, et ils m'ont raconté de nouvelles histoires, similaires à celles de mes héroïnes. C'est alors que j'ai réalisé que même si les circonstances sont différentes, des histoires similaires peuvent avoir lieu n'importe où dans le monde, elles ont une résonnance. En Inde, nous avons les mariages forcés alors qu'aux États-Unis, le problème va plutôt venir des grossesses des adolescentes. Donc ce sont des problèmes différents, mais d'un point de vue émotionnel, c'est assez similaire. Mais j'avais beaucoup de mal à réaliser l'impact que pouvait avoir mon film, jusqu'à ce qu'on le montre. Après chaque projection, que ce soit au Festival de Toronto, en Suède ou en France, des femmes sont venues me voir pour me dire que l'histoire les avait énormément touchées.
Leena Yadav : Pour faire évoluer les mentalités, il faut que l'on commence à oser à remettre tout en question. Parce que ces traditions et ces interdits sont devenus une part de nous, à tel point que nous n'y pensons jamais. Nous sommes toutes conditionnées pour agir d'une certaine façon. Donc il faut qu'on s'arrête et qu'on se demande : "Pourquoi faisons-nous ça ? Pourquoi agissons-nous comme ça ?". Parce que le vrai problème avec la patriarchie, c'est que bien souvent, ces plus grands soutiens ne sont pas des hommes mais des femmes. C'est le conditionnement. On se dit que la vie est comme ça, que les choses doivent être faites comme ça et que cela doit continuer ainsi. Mais si on commence à questionner la validité de tout ça, alors on verra que ça ne tient pas.
Leena Yadav : Oh, j'aimerais que le cinéma permette de faire évoluer la société. Je ne pense pas que mon film aura un impact énorme, mais j'ai déjà vu des hommes et des femmes se remettre en question. Donc si avec mon film je parviens à toucher au moins cinq personnes, à les faire se questionner, alors quelque part, j'aurais gagné mon pari.
Leena Yadav : Le truc, c'est que j'ai du mal avec l'idée que pour être en sécurité, une femme doit être entourée exclusivement d'autres femmes. Je pense que cela crée un autre problème. Ce qu'il faut, c'est que la mentalité des hommes change pour que l'on commence à se sentir en sécurité. On ne peut pas vivre dans un monde où les hommes et les femmes sont montés les uns contre les autres. Nous devons être unis. C'est la seule solution possible. En créant ces commandos, ses emplois de dédiés exclusivement aux femmes, on ne crée pas un environnement où les femmes se sentent en sécurité. Parce que si quelque chose doit arriver, ça arrivera à l'extérieur du bus ou du taxi, dans la rue, n'importe où. Il faut que les gens comprennent que c'est la colère et la frustration sexuelle qui causent ces situations. Donc pour commencer, nous devons parler de sexe. C'est vraiment la chose la plus importante à mes yeux.
C'est vrai que l'on ne peut quasiment rien montrer. Et pourtant, nous sommes le pays du Kâma-Sûtra ! Cela a beau faire partie intégrante de notre histoire, maintenant on nous demande de détourner le regard dès qu'il s'agit de sexe. Tout doit se faire dans le plus grand secret. Et tout ça crée une frustration sexuelle, ce qui emmène aux agressions sexuelles etc. Si seulement nous parlions ouvertement de sexe, notre société serait plus saine.
Oui, mais doucement. Nous sommes conditionnés depuis tellement longtemps et ça prend du temps d'ouvrir les yeux. Mais je pense que si l'on commence à exposer les gens au sexe, ils l'accepteront. Certaines personnes en Inde ont vu mon film. Au début, j'avais peur qu'elles soient scandalisées, mais au final, personne n'a rien dit, personne n'a été choqué.
Il va finalement sortir en juin. Il n'a pas encore passé la censure, mais mon mari, qui est le producteur du film, a décidé que nous devions le sortir.
Nous avons projeté le film dans tant de pays que j'ai le sentiment que le public indien va répondre positivement. Les censeurs ont un gros problème avec la nudité et dans mon film, il y en a un peu. Alors je vais devoir leur dire que je suis d'accord pour flouter certaines parties du corps de mes actrices mais que je ne couperai pas de scènes. Je me fiche si un sein est flouté mais la scène est importante. Je dois rencontrer le comité de censure très bientôt, j'espère que ça va aller.
Je pense qu'elle a été très courageuse de faire ça. J'espère qu'il ne lui arrivera rien, même si on ne peut rien prévoir car il y a des gens fous partout dans ce monde. Beaucoup de gens lui ont rendu hommage pour son courage, elle est vraiment incroyable.
Je voulais parler de sexualité dans un village indien (rires) puis j'ai réalisé que justement, ce sont les femmes de ces mêmes villages qui parlent le plus librement de sexe. Pour elles, c'est quelque chose de basique. J'ai également découvert que dans ces villages, les gens acceptent plus facilement la mort. Plus vous avez de savoir, plus vous avez peur de la mort. Mais dans des endroits comme ça, la vie est très basique. On mange, on dort, quelqu'un meurt, on le pleure et la vie reprend son cours. Et pour le sexe, c'est pareil : on en parle sans filtre, sans se cacher. Alors que dans les grandes villes, nous sommes censés être progressistes et nous refusons d'en parler, même en privé. Donc je voulais faire un film sur des femmes qui parlent librement de sexe. D'autant plus qu'habituellement au cinéma, ce sont seulement les hommes qui en parlent. Donc tout a commencé comme ça. Et puis après, j'ai découvert plein d'autres histoires.
Par exemple, j'ai rencontré cette femme qui m'a inspiré le personnage de Rani. Elle est devenue veuve à 15 ans. Nous avons passé la journée à discuter de tout et de rien, et puis d'un coup, elle m'a dit : "Personne ne m'a touchée depuis quinze ans. Sais-tu ce que cela veut dire ?". Et j'ai alors réalisé que le toucher était une chose extrêmement importante, et que nous ne nous touchons plus. Et ça, c'est une autre chose que j'ai voulu explorer avec mon film. Donc il y a eu des moments-clés lors de mes rencontres avec ces femmes qui m'ont fait comprendre que je devais absolument faire ce film. J'ai également rencontré une femme qui avait plein de bleus sur son visage et son cou. Quand je lui ai demandé si son mari la battait, elle a ri et m'a dit qu'elle ne voulait pas parler de choses déprimantes. Et j'ai réalisé que je voulais faire un film qui parlait de ça mais qui n'était pas trop noir. Je voulais célébrer ces femmes qui ont soif de vivre.
Nous continuons de penser que l'éducation est le remède à tout. Mais nous devons prendre les problèmes à la racine. Parce que ces jeunes hommes sont éduqués. Ils sont envoyés dans des écoles en ville et c'est là-bas qu'ils réalisent que les femmes sont en train de s'émanciper et deviennent de plus en plus puissantes. Ils reviennent ensuite dans leur village et se disent qu'ils doivent protéger les habitants de ce changement. Il faut comprendre leur raisonnement : quand ils rentrent chez eux, ils sont traités comme des rois ! Donc l'éducation les fait régresser. Mais c'est finalement quelque chose que l'on peut voir partout ailleurs. Ces hommes essaient d'exercer une sorte de contrôle. Mais au bout du compte, nous vivons à l'ère d'Internet et rien n'est plus vraiment contrôlable. Par exemple, si j'ai envie de mettre mon film gratuitement sur le web, je n'aurais plus à me soucier de la censure et tout le monde pourra y avoir accès. Ce que je veux dire, c'est que leur sentiment de contrôle ne pourra pas durer. L'information est partout.
L.Y. : C'était mon but. Je voulais donner de l'espoir aux gens. Je ne voulais pas m'empêtrer dans quelque chose de trop déprimant. Je voulais que les gens se questionnent, qu'ils comprennent qu'il y a une issue à leurs problèmes, qu'ils ne doivent pas accepter l'injustice.
La saison des femmes, de Leena Yadav, avec Tannishtha Chatterjee, Radhika Apte, Surveen Chawla, Lehar Khan, Riddhi Sen (1h56). Sortie le 20 avril 2016.