Elles sont douze à avoir intenté un procès au Japon, en 2012, pour réclamer justice. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les plaignantes ont fait partie des 200 000 femmes (souvent mineures, sud-coréennes mais aussi taïwanaise, chinoises et philippines) forcées à se prostituer dans des maisons closes pour soldats japonais.
Aujourd'hui, seulement cinq d'entre elles sont encore en vie, et ont pu assister au verdict du tribunal de Séoul. Ce vendredi 8 janvier, la cour a condamné le Japon à verser une indemnisation de 100 millions de won (environ 75 000 euros) à chacune de ces ex-esclaves sexuelles, aussi désignées par l'euphémisme glaçant "femmes de réconfort", ou "ianfu" en japonais.
"En semaine, nous servions quinze soldats japonais en moyenne par jour", racontait Kim Bok-dong, l'une des survivantes de ce calvaire et militante pour la reconnaissance des victimes, décédée en janvier 2019, dont les propos ont été rapportés par Libération, en 2018.
Âgée de tout juste 14 ans quand elle a été "réquisitionnée" en 1941, on lui avait dit d'abord qu'elle devrait travailler dans une usine pour "soutenir l'effort de guerre", puis avait découvert au bout d'un mois la terrible mascarade. "Le samedi, ils commençaient à s'aligner à partir de midi. Et cela durait jusqu'à 20 heures. Le dimanche, c'était de 8 heures à 17 heures. Encore une fois, une longue file. Je n'ai pas eu la chance de les compter. Mon vagin était si douloureux et enflé qu'ils devaient mettre de la crème sur le préservatif."
"Les preuves, les documents et les témoignages montrent que les victimes ont subi des souffrances physiques et psychologiques extrêmes et inimaginables", a déclaré ce 8 janvier le tribunal sud-coréen. "Aucune compensation n'est venue atténuer leurs souffrances". Une décision historique dont se réjouit Kim Kang-won, l'un des avocats des plaignantes. "Je suis profondément ému par la décision", livre-t-il aux médias à l'issue du jugement. "C'est le premier verdict du genre pour les victimes des troupes japonaises."
De son côté, Tokyo fulmine. Le porte-parole du gouvernement, Katsunobu Kato, juge la décision de "profondément regrettable" et de "totalement inacceptable par le Japon". Le Premier ministre Yoshihide Suga estime à son tour que Séoul "devrait abandonner cette action en justice", selon lui, ajoutant que la question a "déjà été résolue, complètement et définitivement."
Car pour le pays, ce sujet était bel et bien clos depuis la normalisation des relations diplomatiques en 1965, et surtout la signature d'un accord bi-latéral en 2015, qui l'enjoignait à présenter des "excuses sincères" et à verser la somme d'un milliard de yens (7 millions d'euros) de dédommagement à une association venant en aide aux "femmes de réconfort" encore en vie.
C'était sans compter sur le changement de gouvernement sud-coréen entre la signature dudit accord et le verdict du procès. Après la destitution de Park Geun-hye, l'opposant de centre-gauche, Moon Jae-in, est arrivé au pouvoir, soutenant particulièrement la cause de ces victimes et dénonçant le précédent traité.
"Ce n'est pas qu'une question de politique étrangère dans les rapports bilatéraux avec le Japon. Le problème fondamental c'est qu'en Corée du Sud, la question des 'femmes de réconfort' est passionnelle, mais elle relève aussi de la politique intérieure", décrypte à France 24 Alessio Patalano, professeur de défense et de sécurité en Asie de l'Est au King's College à Londres. "Les responsables politiques sud-coréens ont tendance à manipuler cette question pour orienter le débat politique. Des fonds sont accordés à la recherche sur les 'femmes de réconfort', la mobilisation populaire est encouragée autour de ce thème, et en même temps le gouvernement a mis fin à un accord historique avec le Japon, qui avait même conduit à un début d'indemnisation des victimes."
L'expert alerte également sur un "risque non-négligeable d'escalade des tensions entre les deux pays", précisant que la Corée du Sud pourrait décider, si le Japon ne se plie pas à l'indemnisation des plaignantes, au gel des fonds nippons sur son territoire. Le 13 janvier, le jugement d'un nouveau procès intenté par d'autres ex-esclaves sexuelles est attendu.