Oubliez tout ce que vous pensez connaître sur la Préhistoire. Mais si, vous savez, ces représentations d'hommes des cavernes s'en allant chasser pendant que "bobonne" est dans la grotte. Passant au crible une série de découvertes (de fossiles et vestiges notamment), la préhistorienne Marylène Patou Mathis nous offre avec L'homme préhistorique est aussi une femme un salutaire livre d'histoire qui remet les pendules à l'heure. Et ravive bien des vérités, trop méconnues.
On vous fait un petit récap'.
Première idée reçue : les femmes préhistoriques se consacraient avant tout à la cueillette. Faux ! La répartition des tâches était bien moins genrée que ne le supposent les biais contemporains. Les femmes aussi étaient des chasseuses armées pour traquer le bison. Dans certaines sociétés du Paléolithique européen, elles participaient carrément à toutes les étapes, du repérage des traces du gibier à l'élaboration des stratégies de chasse.
L'opposition entre chasseur et cueilleuse est à en croire l'experte un véritable "conte normatif". D'autant plus que la figure de la femme-guerrière n'a vraiment rien d'incongrue. Elle est même centrale aux recherches de Marylène Patou Mathis, qui évoque ces profils dont la femme préhistorique pourrait être l'ancêtre : les combattantes Celtes et autres cheffes de guerre Vikings, mais aussi les bien connues Amazones.
Au cours des siècles, il n'est donc pas rare que la femme prenne les armes.
"Non ! Les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte !", nous alerte non sans humour l'autrice. Elles aussi auraient contribué aux fresques murales peintes dans les grottes de Lascaux. C'est tout du moins ce que l'on peut théoriser aujourd'hui. L'experte suggère même que "les peintures et sculptures parmi les plus célèbres de l'art paléolithique ont peut être été réalisés par des femmes".
Car en somme, rien ne contredit l'hypothèse selon laquelle les femmes auraient été peintres, graveures ou sculptrices, poursuit encore la spécialiste, citant les mots de l'ethno-archéologue Jean-Michel Chazine : "Les femmes ont pu être des artistes préhistoriques, ce n'était pas l'apanage des hommes". Argument parmi tant d'autres pour appuyer cette éventualité ? Certaines des représentations retrouvées dans les grottes pouvaient très bien être le fruit de croyances ancestrales, terrain d'expertise... des femmes chamanes.
Intrigant.
"Aucun argument archéologique ne conforte l'hypothèse qu'au Paléolithique les femmes avaient un statut inférieur à celui des hommes", assure la préhistorienne. De quoi rêver à une égalité des sexes ancestrale ? Et pourquoi pas. Cependant, quand bien même les hommes étaient plus nombreux que les femmes, il est bon de rappeler que la proportion des individus non sexués était également très élevée au cours du Paléolithique moyen et du Paléolithique supérieur.
De nombreuses observations soutiennent toutefois cette impression d'égalité, notamment lorsque l'on s'attarde sur les restes de sépultures retrouvés à proximité des parois peintes des grottes. A savoir des sépultures "richement parées", et un mobilier funéraire dont la composition "varie peu en fonction des sexes", explique l'autrice, ce qui suggère volontiers, à l'instar des représentations féminines retrouvées au gré des cavernes, que certaines femmes, tout sauf silhouettes de l'Histoire, "avaient une position élevée dans ces sociétés". Femmes "élevées", voire même adulées.
De la Préhistoire, on retient des images brutes de décoffrage, comme celle de l'homme primitif traînant la femme par les cheveux, la considérant comme une simple proie sexuelle, objet de tous ses désirs naissants. La résultante d'un imaginaire populaire, sexualisant plus qu'il n'en faut les femmes des cavernes. Or, Marylène Patou-Mathis nous invite à le déconstruire à grands coups de piqûres de rappel (réellement) historiques.
Cet imaginaire, c'est par exemple celui de La guerre du feu, où le réalisateur français Jean-Jacques Annaud met en scène la première scène de levrette de l'Histoire de l'humanité (pas un mince exploit). Et ce alors que les scènes d'accouplement ont rarement été représentés au cours de l'art pariétal, comme l'écrit la préhistorienne.
Et de nombreux experts de voir en la moindre représentation un tant soi peu phallique un témoignage des rapports sexuels d'antan... et la mise en scène d'un fantasme : celui de la femme comme "idéal offert à la convoitise des hommes". Des (sur)interprétations qui, poursuit Marylène Patou-Mathis, "traduisent davantage les schèmes mentaux en vigueur dans nos sociétés" qu'une véritable étude poussée et factuelle. Oups.
En bref, la sexualité n'occupait pas forcément une place si considérable à l'époque des chasses et cueilleuses. Et contrairement à ce que pourraient penser les historiens, elle n'était pas si "débridée". Halte aux libidineux.
Il y a fort à parier que les grands amoureux du "c'était mieux avant" accorderaient peu d'affection à la Préhistoire. Car selon l'autrice, le système de domination masculin, et plus encore le patriarcat et les stéréotypes de genre oppressifs qu'il suppose, n'a rien à voir avec les sociétés trop fantasmées de ces temps ancestraux. La préhistorienne le détaille du côté de TV5 Monde : "Il n'existe aucun preuve archéologique du matriarcat ou du patriarcat. Il n'y a pas de certitude, que des doutes".
De quoi "faire voler en éclats" certaines idées reçues "sur la répartition des rôles", poursuit-elle à l'unisson dans son essai. Or, cette proposition d'un autre récit historique est nécessaire. Par-delà les rayons des livres et les galeries des musées, elle permet "de sonder les profondeurs du temps, là où le patriarcat est censé trouver sa justification originelle", explique l'écrivaine. Or, la Préhistoire n'en déploie aucune, de justification : chasseuses et guerrières, socialement égales ou supérieures, les femmes y échappent à tous les clichés contemporains.
Et c'est tant mieux.
L'homme préhistorique est aussi une femme, par Marylène Patou Mathis.
Editions Allary, 350 p.