Elle est à l'origine avant la vague #MeToo d'un début de débat public au Japon sur les violences sexuelles. Ito Shiori est photographe et documentariste. Elle a travaillé dans le monde entier, de la Grande-Bretagne à la Colombie. Dans le livre La boîte noire à paraître en français le 4 avril, elle raconte son combat contre le système japonnais après un viol.
Alors qu'elle est une jeune journaliste de 22 ans en 2015, elle fait confiance à Noriyuki Yamaguchi qui dirige l'antenne de Washington de la télévision japonaise TBS. Il lui assure qu'il peut essayer de lui trouver une place.
Pour en discuter, il et elle se retrouvent un soir à Tokyo. Il la balade et lui fait boire de l'alcool jusqu'à ce qu'elle se réveille dans une chambre d'hôtel nue, et sans aucun souvenir de la fin de la soirée.
Elle accuse alors Noriyuki Yamaguchi de l'avoir violée. Elle le soupçonne d'avoir utilisé de la drogue pour arriver à ses fins.
Va s'en suivre un combat acharné pour celle qui veut à tout prix que vérité soit faite. Elle va se battre contre les autorités policières pour que son dossier soit pris au sérieux. Elle devra elle-même constituer des pièces du dossier, insister pour porter plainte, aller voir l'hôtel pour les supplier de ne pas effacer les vidéos des caméras de surveillance.
Elle finira par se faire une sorte d'allié au sein de la police qui l'aidera à faire avancer son affaire. Jusqu'au jour où son agresseur doit être arrêté à son retour des États-Unis à l'aéroport, mais des ordres venus d'en haut feront stopper l'opération de police au tout dernier moment.
L'affaire d'Ito Shiori mêle également pouvoir politique et réseaux d'influences : "Travailler au Japon allait-il donc devenir impossible ? C'est ce que la police me répétait depuis le début et je commençais à le croire. Travailler dans le même milieu que lui, en faisant comme si rien n'avait changé, était trop angoissant. J'étais allée à la police, il pouvait décider de se venger à tout moment. Je craignais qu'il me fasse surveiller, qu'il exerce des pressions. Il avait suffi d'un mot venu d'en haut pour que le mandat d'arrêt contre lui soit annulé".
Elle ajoute ensuite : "Il y avait sûrement toutes sortes de moyens de me réduire au silence qui dépassaient le cadre de mon imagination. Je me sentais de plus en plus acculée".
Ito Shiori n'omet rien dans ce livre où elle raconte ce qui lui est arrivé dans une écriture journalistique et fouillée. Mal reçue par la police, mal conseillée, elle s'aperçoit de l'absence de procédures et de lieux pour accueillir les personnes victimes de violences sexuelles au Japon, pays où l'on parle de "viol" et de "quasi-viol".
Elle veut servir d'exemple pour changer les procédures au Japon où la justice et la société peinent à s'emparer du problème.
Dans le dernier classement du Forum économique mondial sur l'égalité, le Japon est 110e sur une liste de 149 pays. Dans ce pays très patriarcal, les femmes se taisent quand elles sont victimes de violences.
Dans le métro, les filles ont à faire aux tchikans, des agresseurs du quotidien, des messieurs tout le monde qui n'hésitent pas à s'attaquer à de très jeune filles. Ito Shirori, raconte avoir été elle-même agressée à plusieurs reprises dans son enfance dans des lieux public, le train ou la piscine.
En tant que démocratie, le Japon est pointé du doigt pour son système judiciaire problématique. Les procédures peuvent être très longues et prendre parfois des dizaines d'années, les plaignant·es ne sont également pas remboursé·es de leurs frais de justice éventuels, ce qui freine de nombreuses personnes à se lancer dans la bataille.
Ses émotions sont mises à plat pour expliquer le parcours que vit une victime de viol. Elle a la double peine. Elle doit se battre pour que son cas soit traité par la justice, mais aussi pour se reconstruire alors qu'elle est souffre de troubles de stress post-traumatique tout en continuant à travailler. Elle finira par rendre son combat public pour tenter de faire changer la société japonaise.
La boîte Noire, Ito Shiori, Editions Picquier, traduit par Jean-Christophe Helary et Aline Koza, 19,50€, sortie le 4 avril.