MeToo a-t-il bousculé le monde la justice ?
La journaliste de Médiapart Marine Turchi s'interrogeait dans sa vaste enquête "Faute de preuves" (Editions du Seuil). Aujourd'hui, c'est le Ministère de la Justice en personne qui se questionne, chiffres à l'appui. Dans une nouvelle étude, le ministère affirme effectivement que depuis les prémices de la révolution #MeToo, en 2017, les procédures pour viol et agression sexuelle auraient effectivement... plus que doublé en France.
Concrètement, elle s'élève carrément à 164%, l'augmentation de personnes accusées d'agression sexuelle ou de viol "par conjoint" entre 2017 et 2022. Cela représente 3 641 personnes accusées par des plaignantes au sein du pays. Des chiffres qui en disent long sur une certaine libération de la parole ?...
Comment interpréter ces chiffres impressionnants ?
Peut être moins comme une révolution que comme un basculement : aujourd'hui, on constate que les affaires de viol et d'agression sexuelle sont davantage médiatisées et relayées auprès du grand public, que cela soit par le biais des médias, des rapports chiffrés délivrés par le ministère de la justice, des témoignages sur les réseaux sociaux. La recrudescence est moins à chercher du côté des faits, que de leur mise en lumière.
"La démultiplication des affaires est davantage le signe d'une progression des signalements et d'un renforcement de la lutte contre les violences sexuelles en général", détaille à ce titre la présidente de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis Ernestine Ronai, dixit le magazine ELLE.
"Révolution" à relativiser donc. En mars dernier, une étude de Simone Media et de l'association En Avant Toute(s) menée par la journaliste Chloé Thibaud auprès de 1 115 individus nous apprenait que malgré le mouvement MeToo, un quart des hommes ont déjà insisté pour avoir une relation sexuelle. Quand bien même 45,3% d'entre eux considèrent par ailleurs que le mouvement #MeToo "a eu un impact bien réel sur sa façon de se comporter".
Dans son enquête Faute de preuves (Editions du Seuil), la journaliste d'investigation Marine Turchi démontrait les limites mais aussi l'introspection de la justice face à MeToo. Et elle expliquait dans nos pages : "Il y a une méconnaissance globale dans la société de la manière dont la justice travaille, de ce qu'elle peut faire, ne pas faire, comment elle le fait".
"Pour beaucoup de gens, la justice est comme une boîte noire dont on ne sait pas grand-chose, une machine froide déconnectée des réalités. Alors que les magistrats qui sont désireux de bien faire ne sont pas rares."
"Une chose sur laquelle réfléchir, c'est ce que peut la justice en terme de réparation, ce qui rejoint la question des attentes des victimes. Or chaque personne victime (je préfère dire "personne victime" plutôt que "victime") a des attentes différentes. Que l'agresseur aille en prison, qu'un procès public se tienne, qu'il y ait une reconnaissance des faits par l'auteur, l'entourage ou l'entreprise (si cela concerne le lieu du travail)... Il y a une marge de manoeuvre pour la justice concernant une meilleure prise en compte de ces enjeux."