On la surnomme "la Déesse de Cuba". La chanteuse Dianelys Alfonso envoûte par ses mélodies reggaeton. Mais hors de scène, elle s'indigne. En juin dernier, l'artiste a accusé le musicien José Luis Cortés, leader du groupe NG La Banda, de l'avoir agressée et violée à plusieurs reprises. Dianelys Alfonso a fait partie dudit groupe de 2003 et 2009 et a entretenu une relation avec José Luis Cortés durant une grande partie de cette période. Sa parole s'est libérée dans l'émission du présentateur Alex Otaola. Comme le relate le média musical Billboard, Dianelys Alfonso est depuis lors considérée comme la pionnière du mouvement #MeToo "dans un pays où les discussions ouvertes sur la violence à l'égard des femmes sont rares".
En parallèle des nombreuses réactions d'internautes indigné·e·s, ce sont pas moins de 55 artistes et intellectuel·les cubain·es qui ont signé une lettre de soutien à Alfonso, sur une page Facebook intitulée "I Believe You" ("Je te crois"). José Luis Cortés, de son côté, répond à ses accusations d'agressions, physiques, sexuelles et verbales, par un assourdissant silence. Mais Deyni Terry, l'avocate de la chanteuse, ne compte pas s'arrêter là. "De nombreuses victimes attendent parfois des années pour dire ce qui leur est arrivé et cela complique l'action judiciaire, en particulier à Cuba où de nombreuses lois sont obsolètes", déplore-t-elle à NBC News.
#MetooEnCuba. #NoEstasSola ("Tu n'es pas seule"). # DiosaYoSíTeCreo ("Diosa je te crois"). Les hashtags de solidarité se sont succédé sur Twitter. Mais cela n'empêche évidemment pas la chanteuse de se sentir (très) seule dans cette lutte révoltée. "En ce moment, j'ai très peur, pour de nombreuses raisons, non seulement pour ce que José Luis Cortés pourrait me faire, mais aussi que la justice ne soit pas rendue dans ce pays, et que les choses tournent mal", avoue-t-elle au journal en ligne cubain 14ymedio.
José Luis Cortés aurait effectivement menacé l'artiste par textos. Mais la plainte pour menaces de Dianelys Alfonso n'aurait pas été retenue par la police. Ce qui l'a incitée à chercher du soutien du côté des associations féministes. Aujourd'hui, elle craint que ces révélations aient de fâcheuses conséquences sur son avenir au sein de la sphère musicale. "Tout ce que je sais faire, c'est chanter, alors cela me fait peur", explique-t-elle.
A cette angoisse s'ajoutent - on pouvait le craindre - les injures d'anonymes l'accusant de calomnie. "Abasourdie", la chanteuse cherche à obtenir une aide psychologique professionnelle nécessaire pour faire face "à ceux qui [lui] reprochent d'avoir dit la vérité", nous apprend l'Associated Press. C'est un lourd fardeau que d'être malgré soi à "l'avant-garde" du mouvement #MeToo cubain. Car à Cuba, rappelle le média national Diarios de Cuba, les discussions ouvertes sur les abus domestiques et la violence sexiste sont moins courantes que dans d'autres pays d'Amérique latine. Idem pour les marches collectives contre la violence ou le harcèlement.
Et ne parlons même pas de la mise en ligne par le gouvernement des statistiques qui leur sont inhérentes - inexistante. Mais Deyni Terry, elle, reste optimiste. A l'AP, elle déclare : "Aujourd'hui, les gens sont plus audacieux, parlent de sujets tabous, prennent des risques et ont plus de liberté de parole". Il se pourrait bien que le web ait changé la donne.