Maestra, le nouveau Cinquante nuances de Grey ? Voilà ce qu'on peut lire un peu partout sur le web ou dans la presse. Mais il n'y a qu'à lire quelques pages du roman de L.S. Hilton pour se rendre compte que les livres n'ont en fait pas grand-chose en commun. Ici, on suit l'ascension de Judith Rashleigh, employée dévouée mais effacée dans un hôtel de vente aux enchères britannique, qui va peu à peu délaisser sa personnalité réservée pour se révéler en véritable femme fatale. A l'inverse d'Anastasia Steele, l'héroïne d'EL James, Judith est en pleine possession de sa féminité et de sa sexualité. Elle a du cran et est très intelligente. Et puis surtout, il n'y a qu'à gratter un peu le vernis pour se rendre compte qu'elle n'a ni maître ni morale. Pas de Christian Grey macho et possessif à l'horizon, pas de romance fleur bleue et idéalisée. Maestra est l'histoire d'une femme et seulement la sienne et c'est sacrément rafraîchissant.
Les succès de thrillers tels que Les apparences (Gillian Flynn) et La fille du train (Paula Hawkins) ont permis l'émergence de nouvelles héroïnes littéraires. Complexes, peu sympathiques voire carrément sociopathes, ces femmes sont aux antipodes des personnages féminins décrits habituellement, ce qui les rend forcément diablement réjouissantes. Avec Maestra, L.S. Hilton nous livre le portrait d'une femme fatale ancrée dans son époque mais qui rappelle néanmoins les beautés vénéneuses des films noirs hollywoodiens. Car si elle semble douce, elle peut aussi se révéler mortelle telle le plus insidieux des poisons. Judith Rashleigh navigue dans un monde luxueux où les fringues hors de prix, le champagne, l'art et bien sûr l'argent, sont les seules choses qui comptent. Mais dans cet univers cotonneux, presque hors du temps, l'héroïne navigue à vue. A aucun moment elle ne perd son point de repère : remiser au passé sa condition sociale, atteindre les sommets, empocher des millions, le tout en écrasant les autres sur son passage si possible. L.S. Hilton joue peut-être avec les clichés mais elle le fait plutôt bien.
Lorsque Maestra commence, Judith a déjà un pied dans le monde de l'Art mais elle est mal payée et surtout mal considérée par ses employeurs. Alors quand on lui propose de devenir hôtesse dans un bar à champagne, la jeune femme accepte rapidement. On pourrait voir ici la transformation d'une oie blanche en oiseau de nuit. Sauf qu'on comprend bien vite que Judith n'a pas attendu ce job pour s'amuser à des jeux sulfureux. Car l'héroïne n'apprécie rien moins que les parties fines, le sexe à deux ou à plusieurs. Elle aime le sexe, et si elle aime donner du plaisir, elle évoque bien souvent sa jouissance à elle. Elle est en control total de sa sexualité, chose encore malheureusement trop rare en littérature ou dans la pop culture en général. Et puis Judith vénère l'Art. Avec elle, on entre donc dans un monde très fermé mais passionnant. Pas avare de descriptions, L.S. Hilton parvient à titiller l'imagination de son lecteur en évoquant aussi bien une scène de sexe entre trois inconnus qu'un tableau de la Renaissance. Une écriture sensuelle qui en viendrait presque à élever le crime au rang d'oeuvre d'art...
Premier volet d'une trilogie, Maestra a d'ores et déjà réussi à faire frissonner d'envie le tout Hollywood. A en croire The Telegraph, "une guerre d'enchères à sept chiffres" a ainsi eu lieu l'été dernier entre plusieurs producteurs, et c'est finalement Amy Pascal, co-présidente de Sony Pictures Entertainment, qui a remporté le gros lot. Un scénario est déjà en court d'écriture par Erin Cressida Wilsons (déjà à l'origine du script de La fille du train), ne reste donc plus qu'à trouver réalisateur et acteurs. Acheté par 36 pays, le roman de L.S. Hilton devrait rapidement devenir un énorme best-seller, avant de se transformer en blockbuster.
Maestra, ed. Robert Laffont, 384 pages, 18,90 euros, en vente le 10 mars 2016