La scène nous est tous déjà arrivé au moins une fois : vous rangez quelques cartons à l'occasion d'un déménagement ou d'un ménage de printemps quand, soudain, vous tombez nez-à-nez avec une pile de photos de classe, soigneusement oubliée depuis 10 ans parmi vos souvenirs de collégien(ne) insouciant(e). Effet immédiat de ce saut dans le temps inattendu, vous souriez à la vue de votre tête d'ado et de toutes les imperfections, qui n'en étaient pas vraiment, parsemant votre visage encore juvénile. Ridicule, peut-être, authentique, sûrement.
Retour en 2015, dans un lycée pour filles où l'authenticité n'a semble-t-il plus sa place. Ici la direction a choisi de faire retoucher les portraits de ses élèves pour les albums de promotion, histoire de s'assurer que les jeunes filles ont bonne mine. Visages plus minces, sourcils ajustés, peau rayonnante... Un photoshoppage en règle qui a suscité un tollé auprès des étudiantes.
L'une d'entre elles s'en est émue sur le site Reddit : "Mon école a modifié ma photo de l'album de promotion pour me donner l'air plus mince", a titré l'intéressée. Photo à l'appui, la jeune fille explique avoir reçu une carte d'étudiante sur laquelle elle se reconnaissait à peine. "Après inspection minutieuse, on a réalisé que les retouches de nos photos concernaient bien plus qu'un simple lissage de la peau".
Face à la réaction des étudiantes et de leurs parents, l'école a d'abord tenté de se défendre en assurant que les modifications étaient l'oeuvre du studio de photographie engagé. Argument insuffisant pour l'ensemble des classes : l'école a finalement dû utiliser les photos originales -et non-retouchées- pour son album annuel.
Mais le cas de ce lycée n'est pas isolé. Depuis quelques jours, une polémique similaire a éclaté à l'école d'enseignement secondaire de Daylesford en Australie. Plusieurs étudiants ont en effet affirmé que des retouches majeures avaient été apportées à leur portrait d'élève. Là encore, imperfections de la peau, boutons d'acné, monosourcils et même taches de rousseurs ont disparu des photos officielles, suscitant l'indignation des familles.
Face à la controverse, qui a attiré l'attention des médias au niveau national, Graeme Holmes, le principal de l'établissement, a reconnu que l'école "avait adopté la mauvaise approche" et que les portraits originaux des élèves allaient être proposés aux familles gratuitement.
Mais dans une lettre envoyée aux parents mardi 24 mars, l'éducateur donne une toute autre version : "Le photographe a expliqué que les effets d'éclairage utilisés pour les portraits réduisaient la visibilité de certains détails, créant l'illusion pour certains qu'ils ont disparu (...) J'insiste sur le fait qu'il n'y a pas eu de retouche de la peau, des imperfections ou des boutons".
Difficile à croire pour Jacki Lipplegoes. Au-delà des détails physiques, l'élève de Daylesford a vu son piercing purement et simplement effacé. Et selon elle, "ce n'est pas un problème d'éclairage". "On a payé une photo pour montrer à quoi on ressemble en 2015. Mais ce n'est pas à ça", a déploré l'étudiante qui estime que de tels changements non-sollicités créent un malaise chez elle et ses camarades.
Graham Holmes avance lui que des mesures de retouche ont uniquement été prises sur certains clichés. En particulier ceux sur lesquels des élèves ne se conformaient pas à la politique de l'école en matière de tenue et de look, notamment les piercings a-t-il reconnu.
Saisie de l'affaire, Georgie Ferrari, responsable du Conseil Jeunesse de l'Etat de Victoria, a estimé que de telles retouches sans le consentement des adolescents peut leur porter un grave préjudice : "Ce procédé revient à dire aux étudiants qu'ils ne sont pas bien tels qu'ils sont. Personne n'a le droit de décider de quoi doit avoir l'air un tel portrait (...) Cela crédite le message déjà envoyé à nos jeunes selon lequel sans Photoshop, on n'est pas assez bien".
Deux cas similaires pour ces deux écoles et, à chaque fois, une volonté de faire machine arrière. Photoshop semble, en ce début 2015, cristalliser les conflits entre étudiants et directeurs d'établissements scolaires sur la question de l'identité. D'un côté, des étudiants qui souhaitent voir leur image refléter leur façon d'être dans la vie réelle, et non se conformer à certains principes. De l'autre, des administrations qui veulent voir appliquer par les élèves leur politique vestimentaire. Des attentes légitimées par un besoin de transparence, mais à quel prix ? Si la retouche photo devient à l'avenir une option considérée par le milieu scolaire, elle devra à tout le moins être proposée aux élèves comme un choix et non comme une contrainte.