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Mon ado a honte de moi : je fais quoi ?
Publié le 5 mars 2018 à 12:50
Par La rédaction
Jadis, il vous regardait avec des yeux plein d'étoiles, aujourd'hui, il se carapate dès que vous l'accompagnez au collège. Oui, il semblerait que votre ado ait honte de vous. Est-ce grave ? Comment gérer ce nouvel état d'esprit ? Le psychanalyste Thibaud Le Clech et la psychopraticienne Caroline Bréhat nous livrent leurs conseils.
Adolescente rebelle Adolescente rebelle© Getty Images
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"Tu ne vas quand même pas sortir comme ça", assène régulièrement Clémence à sa mère, Hélène, à qui elle reproche de s'habiller "trop jeune". Et le plus dur, ce n'est pas tant la sentence, mais les yeux levés au ciel et la moue dégoûtée qui l'accompagnent. La scène est d'une banalité cruelle : la plupart des ados éprouvent peu ou prou, un jour ou l'autre, un sentiment de honte vis-à-vis de leurs parents et.... ils ne craignent plus de l'exprimer. Largués, lourds, envahissants, les parents sont toujours "trop" quelque chose dans la bouche de leur ado. Alors, comment faire face quand votre progéniture a soudain honte de vous ?

1- Re-la-ti-vi-ser !

Hier encore, il vous regardait plein d'admiration, elle vous déclarait son amour éternel... et voilà, à peine passé le choc qu'a été pour vous son entrée en sixième, qu'il déboulonne votre statue, qu'elle vous éjecte de votre piédestal ! "Non, ne me dépose pas devant le portail, laisse moi cent mètres avant, j'ai pas envie que mes copains te voient", s'est entendu dire Alain, un matin, alors qu'il conduisait son fils au collège...

Pas simple, quand on a été, pendant des années, la princesse ou le super-héros de son enfant, de se réveiller soudainement dans la peau d'un ringard, ou d'une has been aux goûts douteux... Alors, faut-il aussitôt faire le deuil de notre grandeur passée ? Pas forcément, et pas si vite ! A bien y regarder, c'est justement le "regard" qui est la clé : le regard des autres (les autres de leur âge). Ce que disent les enfants d'Hélène et Alain, c'est en fait : "J'ai peur de ce que penseront les autres adolescents s'ils nous voient ensemble". A la maison, au fond, les enjeux ne sont pas les mêmes, l'ado peut continuer, pour un temps, à être le "petit" de ses parents, et goûter encore au confort de la dépendance. Mais à l'extérieur, il ne faut surtout pas que ça se voit ! En dehors du cercle intime, au fond, l'important est de ne plus être vu comme un enfant. Or qu'est-ce qui rappelle plus le statut d'enfant que la présence d'un parent ?

L'un des principaux changements qui se jouent à l'adolescence, c'est que l'enfant se tourne vers les autres : là où il n'avait besoin que du regard approbateur et aimant de papa ou maman, il va désormais éprouver sa valeur dans le regard et le jugement des jeunes de son âge. Les pauvres parents ne sont donc pas totalement "périmés". C'est juste qu'il ne faut plus en paraître dépendant...

Ado avec un sac à dos © Jesús Rodríguez/Unsplash
2- Sauver les apparences

C'est bien connu, l'enfant est en quête, dès la puberté, d'un nouveau groupe d'appartenance. Pour exister, et se sentir "aimable", respecté, populaire, il doit donc être conforme aux codes de ce nouveau groupe. Car, à moins d'avoir une personnalité en béton armé, il lui est difficile de faire fi des moqueries de ses pairs, qui peuvent être féroces pour les "boloss". Pas le choix, il faut se montrer conforme, et ça passe d'abord par l'apparence. Pourquoi ce phénomène ?

Reconnaissons d'abord que l'apparence de l'ado subit, en quelques mois à peine, des transformations explosives : le petit que vous portiez il y a peu dans vos bras se met à pousser comme une asperge, et bientôt, vous dépasse en taille. Il chantait comme un angelot, et voilà que sa voix déraille, et qu'il grogne comme un baryton dans sa moustache naissante. La petite fille si poupine, voilà que vous devez lui acheter ses premières brassières, et des serviettes hygiéniques, et de la crème anti-acneïque... C'est une révolution, et pas que dans la tête des parents, mais bien pour les jeunes eux-mêmes. Alors ce corps qu'on ne connaît plus trop, il faut bien le couvrir, et pendant un temps, les oripeaux revêtent (c'est le cas de le dire) une importance capitale. Les fringues (et quelques autres attributs : le sac d'école, le smartphone) deviennent la vitrine du sujet, ce qui fait sa valeur aux yeux des autres, mais sa carapace aussi, son masque protecteur. Et accessoirement, ça devient donc le sujet de discussions passionnées à la maison...

3- Quand "ado" rime avec "logo" : né-go-cier !


Car voilà, l'adulte n'est pas seulement ringard parce qu'il s'habille style avant-guerre ou, au contraire, comme un ado... c'est aussi que décidément, il ne comprend rien à rien, il est largué ! "Comment peuvent-ils me refuser le dernier Apple, le jean Levis, le tee-shirt Hilfinger, les baskets Adidas, à mille euro le tout ? Mais tous les autres ont ça ! J'ai honte d'aller au lycée avec mes trucs pourris !"

De nos jours, on est ce qu'on consomme : il ne suffit plus de dessiner une fleur sur son jean pour être à la mode : il faut le logo ! Or cette question fait friction car elle contient en elle tout le paradoxe de l'adolescence : ces petiots veulent de l'autonomie, de l'indépendance... mais dépendent encore désespérément de leurs parents (et de leur carte bleue) pour s'acheter leur nouvelle personnalité vestimentaire. Et le pire, c'est que les parents estiment du coup avoir encore un mot à dire !

Est-on, pour cela, un parent indigne ? Non : il serait là aussi paradoxal, alors que l'adolescent tente d'éprouver de nouvelles limites (car il expérimente des possibilités nouvelles) de ne pas lui en donner encore un peu, des limites ! C'est une corde raide : céder un peu, mais pas toujours. D'autant que la pression peut être forte : "J'ai l'impression qu'elle arrive toujours à ses fins", souligne Anne. "Parfois ce sont de grandes crises de larmes, et des grands cris, parfois des câlins au contraire, comme quand elle était petite. D'autres fois, elle fait la tête pendant des jours, ou alors, ce sont des arguties interminables. Souvent, je finis par céder, juste pour retrouver un peu de paix !"

Là encore, il est possible de faire un pas de côté : lors de ces prises de tête, l'adolescent expérimente mine de rien de nouvelles aptitudes sociales, qui l'amèneront progressivement à déterminer des opinions et des objectifs qui seront les siens propres, et à les défendre, les argumenter, à convaincre. Pour cela, la plupart de nos enfants réexpérimenteront leurs capacités de séduction, voire de manipulation (en culpabilisant les parents, au besoin), qui ne sont plus les mêmes que dans la petite enfance...

En ce sens, le débat est un mal nécessaire. De plus, fuir le conflit, c'est risquer de le voir ressurgir à tout moment, sous une autre forme, et plus virulent. Un ado à qui on refuse toujours tout finit par dissimuler, à faire ses affaires en cachette (et donc à s'isoler). Enfin, ne boudons pas le plaisir d'user du peu de pouvoir qu'il nous reste : mettre des conditions à l'achat du dernier blouson à la mode reste souvent le seul moyen d'obtenir quelques efforts de l'adversaire, en matière de résultats scolaires, ou de rangement de la chambre !

Adolescente avec son téléphone portable © Luke Porter/Unsplash
4- Permettre les régressions

Tiens, parlons-en, de la chambre ! Un moment crucial, où il est souvent question de "honte" encore, c'est la première invitation de nouveaux camarades au domicile : "Que vont-ils (ou elles) penser de notre maison ou de notre appartement, de notre déco, de ma mère et/ou de mon père, de notre façon de vivre ?". Pour la première fois sans doute, l'ado expose son intimité, qui là encore, pourrait être l'objet de moqueries, ou d'un jugement péjoratif... "Tu ne mettras pas ton vieux legging et tes chaussons, OK ?", a asséné Téa à sa mère. "S'il te plait, tu ne fais pas tes grosses blagues habituelles, OK ?", s'est entendu dire Etienne...

Pourtant, c'est là une bonne occasion de réduire un peu le delta qui s'est développé entre l'image que présente l'ado à l'extérieur, et son aspiration réelle : il n'est pas rare, avant la date fatidique, qu'on reparle de la peinture de la chambre, ou du modèle du lit. Souvent, les peluches, les poupées disparaissent au fond du placard ou de l'armoire. Et cependant, un capharnaüm horripilant est savamment entretenu...

Heureusement, on remarque très vite que, le jour J, derrière la porte de la chambre, les peluches et les poupées ressortent vite, et les rires d'enfant, et la "soirée pyjama", et les cartes de collection, ou les DVD des dessins animés anciens. Même les interminables jeux vidéo, quand ils sont partagés, sont, si on y pense, un retour nostalgique à la pensée magique, à l'insouciance, au primat de l'imaginaire, aux premiers "on ferait comme si c'était vrai"...

Il est important, face à ce qu'on appelle un peu vite ces "régressions", de ne pas se montrer trop sarcastique. Or, c'est parfois très tentant, tant on a pu essuyer, auparavant, l'ironie mordante de son chérubin, de pointer enfin, en présence d'un témoin de son âge, ses incohérences, et son ingratitude... Sauf que c'est... "lui mettre la honte" ! Et ça, si ça soulage sur l'instant, ce n'est jamais payant.

5- De l'humour, encore de l'humour, toujours de l'humour !

De l'audace, du courage, il leur en faut, à nos adolescents, pour oser entrer dans une cour de collège comme dans une arène, puis au lycée, puis dans une salle d'examen du Bac ! Du côté des parents, c'est d'une bonne dose de patience, mais aussi d'humour (bienveillant) dont il faut faire preuve pour survivre aux attaques dont ils sont la cible. Le rire, pour les psychanalystes, est l'un des mécanismes de défense les plus adaptés contre l'angoisse, mais aussi pour maîtriser sa propre agressivité.

Pour, comme on l'a vu ici, relativiser le conflit entre adolescents et parents, accepter que l'apparence soit pour eux, pendant un temps, plus importante que le reste, supporter les disputes récurrentes, survivre aux attaques narcissiques et à la culpabilité qu'ils nous infligent, tout cela demande une bonne dose de "philosophie", et donc de recul sur soi-même... Or, rien de mieux pour ça qu'une petite capacité d'autodérision.

Il est plus facile de sourire, avec tendresse même, de cette indignité que nous renvoie notre adolescent(e), quand on comprend les enjeux auxquels il ou elle fait face.

Au fond, il faut réussir, dans les deux sens du terme, à "supporter" son enfant : supporter narcissiquement, d'abord, de lui faire honte, ce qui lui permet simplement de prendre ses distances vis-à-vis de nous, ce à quoi la vie l'appelle ; mais aussi, le ou la "supporter" comme on supporte un sportif, une équipe : "Je sais que ton job est dur, mais je suis à fond avec toi, je te pousse à exprimer au mieux tes possibilités, et à progresser sur ton chemin. Et si tu t'égares, si tu faillis, si tu me déçois parfois, ce n'est pas grave, je te supporterai encore et toujours."

Par Caroline Bréhat et Thibaud Leclech du Cabinet Rivages.

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