Peut-être ne saurons-nous jamais qui de Woody Allen ou de Dylan Farrow dit la vérité. Pourtant, imaginons que Woody ne soit pas Woody mais un simple beau-père à l’encontre duquel ces accusations seraient portées par une jeune femme hantée par le souvenir de son agression et soutenue par sa mère et son frère, a priori sains d’esprits. Imaginons que cette jeune femme relate avec la même précision la scène qui a selon elle marqué le reste de sa vie. Imaginons que cette femme ait le courage d’expliquer au monde entier qu’à sept ans, alors qu’elle regardait tourner le train électrique du grenier familial, le mari de maman lui chuchotait à l’oreille qu’elle était une gentille petite fille, lors qu'il s’adonnait à ces choses qu’on n’a pas forcément envie de raconter les détails à des inconnus.
« Imaginez qu'elle soit frappée de nausées chaque fois que l'on prononce son nom. Imaginez un monde qui célèbre son bourreau », ajoute elle-même Dylan Farrow dans sa tribune, consciente de ce que la célébrité et le génie de son agresseur supposé peuvent contenir de dérangeant dans cette situation. « La plupart des victimes ne parlaient JAMAIS […] La plupart d'entre elles sentent qu'elles ne pourront jamais le faire. Il n'y a pas d'histoires que l'on raconte pour amuser, être le centre d'attention ou se venger », a souligné Lena Dunham, la star de Girls si souvent comparée à l’autre amoureux de New York, aujourd’hui seule à soutenir Dylan Farrow, et saluant sur Twitter son texte « courageux, puissant et généreux ».
To share in this way is courageous, powerful and generous. Please read: http://t.co/RKKREFB8hM
— Lena Dunham (@lenadunham) 1 Février 2014
Quant aux autres artistes, interpellés par Dylan, ils refusent de s’impliquer. Cate Blanchett, elle-même maman de trois garçons (et accessoirement en course pour l’Oscar de la meilleure actrice dans l’excellent Blue Jasmine d’Allen) a fait une déclaration complètement à côté de la plaque, considérant que « c’est évidemment une situation pénible pour la famille, j’espère qu’ils trouveront un terrain d’entente et que la situation s’apaisera. » Pénible ? Quant à Alec Baldwin - lequel avait par ailleurs traité sa propre fille de 11 ans de « sale petite connasse écervelée » lors de son divorce -, il s’est dit totalement « excédé » par cette affaire… Soit.
Aux États-Unis et ailleurs, on se tait, comme lorsque Ronan Farrow avait rendu publique l’accusation d’agression de sa sœur envers Allen dans un tweet étrangement fort peu relayé par les médias trois semaines avant les déclarations de Dylan elle-même.
Missed the Woody Allen tribute - did they put the part where a woman publicly confirmed he molested her at age 7 before or after Annie Hall?
— Ronan Farrow (@RonanFarrow) 13 Janvier 2014
J'ai raté l'hommage à Woody Allen. Est-ce qu'ils ont parlé du moment où une femme a publiquement confirmé qu'il avait abusé d'elle à l'âge de 7 ans, avant ou après Annie Hall ?
Dans cette affaire, la question n’est en effet pas tant de savoir qui de Dylan ou Allen ment que de constater que, dès lors qu’il s’agit d’un homme de pouvoir, ou d’un artiste de talent, l’opinion publique préfère manifestement ne pas voir, ne rien savoir de la personnalité potentiellement déviante, ou des agissements criminels du génie.
« Au tribunal de l’opinion, une femme accusant un grand réalisateur n’a pas la moindre crédibilité », accuse The New Enquiry. Cantat, Strauss-Kahn, Polanski, Gibson, Brown… et maintenant Allen. Ne serait-il pas temps de dissocier enfin l’homme de sa position ou de son œuvre, et d’accorder à leurs accusatrices l’attention qu’elles méritent ?
Woody Allen fût-il déclaré coupable, la performance de Cate Blanchett dans Blue Jasmine n’en serait finalement pas moins exceptionnelle. On n'en dira en revanche pas autant de l'analyse de la situation de la part de cette grande actrice...