Réalisatrice, productrice, scénariste, pionnière du septième art oeuvrant pour la société Gaumont dès 1896 (elle n'a alors que 23 ans), baladant sa caméra des dizaines de tournages durant de la France aux Etats-Unis, inventrice du concept de making-of, cinéaste mais également instigatrice de sa propre société de production (une première pour une femme à l'époque)... La vie d'Alice Guy est digne d'une fresque cinématographique.
Et c'est pour cela que la cinéaste Pamela Green prépare désormais un biopic dédié à son iconique personne, comme nous l'apprend Les Inrockuptibles. Il faut dire qu'en terme de matériau scénaristique, il y a moins inspirant que la carrière de la première réalisatrice de fiction de l'Histoire du cinéma, n'est-ce pas ? Un parcours professionnel époustouflant, puisqu'il fait état d'une ascension fulgurante - de secrétaire à cinéaste et productrice - et d'une productivité folle - pas moins d'un millier de courts-métrages parcourent son oeuvre.
Mais aujourd'hui, qui cite le nom d'Alice Guy ? Les faits sont là : malgré une reconnaissance institutionnelle relative (à la Cinémathèque française notamment, ou outre-Atlantique, où elle fait l'objet de nombreux essais et biographies), la cinéaste française semble depuis trop longtemps perdurer dans l'ombre des frères Lumière. Et les historiens de l'ignorer. Un oubli fâcheux, historique. Une injustice que pourrait corriger ce biopic.
Ce projet de biopic aurait été pensé en puisant au sein d'un fonds d'archives "exceptionnel" comme le soulignent Les Inrocks, et ce sous le regard bienveillant de l'historienne d'art britannique Joan Simon, également conservatrice spécialisée dans l'art contemporain. En 2009, l'historienne en question dédiait l'un de ses travaux de recherche à la cinéaste. Quant à la réalisatrice Pamela Green, elle lui avait déjà consacré un documentaire entier, raconté par Jodie Foster, en 2018 : Be Natural: The Untold Story of Alice Guy-Blaché. C'est dire si l'annonce de ce nouveau projet est prometteuse.
D'autant plus qu'elle intervient dans un contexte où de plus en plus de voix critiques insistent sur la valorisation académique des oeuvres d'Alice Guy, un nom indissociable de notre matrimoine. C'est par exemple là l'avis de la journaliste et autrice Iris Brey, qui évoque longuement la réalisatrice dans son essai Le regard féminin. Et déplore son invisibilisation, dans les pages du Temps : "Si tout le monde connaît les frères Lumière, ce n'est pourtant pas le cas d'Alice Guy, à qui l'on doit tout de même le concept de fiction cinématographique !".
Comment l'expliquer ? Iris Brey a bien une petite idée. "Les expériences féminines ne sont pas valorisées dans notre société. Des films ont été invisibilisés, voire censurés, lorsqu'ils étaient produits par des femmes. Les oeuvres d'Alice Guy, déjà à l'époque, racontaient l'expérience d'être une femme en France, de manière politique et avec humour", poursuit l'experte. Des films si modernes que l'ombre de la pionnière plante encore sur le monde du cinéma, notamment sous la forme du prix Alice Guy, récompensant chaque année les réalisatrices.
Mais sa réhabilitation, elle, attend encore son clap de fin...