L'horreur. C'est le mot qui nous vient à l'esprit suite à cette enquête de l'AFP. Ce reportage édifiant relaie la voix d'Ana Claudia Rocha Ferreira. Cette jeune Brésilienne a vécu ce que bien des concitoyennes ont éprouvé et éprouvent encore : afin de conserver son emprise sur elle, son ex conjoint l'a violemment battue, jusqu'à l'édenter. A l'instant de leur séparation, il ne lui restait plus que quatre dents au devant de la bouche. Honteuse, elle n'osait même plus sortir de chez elle. Elle explique : "Il a commencé à me donner des coups de poing. Mes dents sont tombées l'une après l'autre". Le but de cette agression ? Que "personne ne [la] convoite", témoigne-t-elle encore.
Comme le détaille le journal 20 Minutes, cette défiguration n'est pas simplement physique, elle est violemment symbolique. En s'en prenant à la dentition de leurs compagnes, ces hommes criminels cherchent à "anéantir la féminité de celles qui resteront confinées chez elles", détaille le média. Pression psychologique, agression physique, menaces diverses et variées, mise à mal de l'estime et de l'image de soi, recherche d'isolement, pensées suicidaires... Un tel acte génère une abondance de conséquences néfastes. Et cette situation dépasse de loin le simple stade du fait divers. Car au Brésil, cette défiguration "conjugale" est aussi écoeurante que systémique.
En vérité, elle fait même des millions de victimes, rapporte le média. C'est un phénomène "banal", nous dit-on encore. Et qui concerne, de façon globale, un ensemble de minorités opprimées. Comme les personnes transgenres par exemple. C'est le cas de Thaïs de Azevedo, qui raconte : "J'ai été victime de violences depuis que je me suis affirmée comme une personne transgenre, donc abandonnée par ma famille, par la société et condamnée à la marginalité". "Cible" parmi d'autres d'un pouvoir patriarcal qui cherche à appuyer sa domination en mutilant les corps, elle aussi s'est retrouvée édentée, à force de coups de poings et de coups de pieds systématiques. "Vous n'avez aucune idée de ce que c'est que de vivre sans dents", s'attriste-t-elle aujourd'hui.
Puisque défigurées, ces victimes se retrouvent bien souvent mises au ban du monde de l'entreprise, où l'image et le physique importent plus que tout. Sans compter les difficultés du quotidien qu'elles éprouvent - comme le fait de mastiquer la nourriture. C'est leur émancipation, personnelle et professionnelle, qui se retrouve confrontée à une impasse. Mais ce mur-là, beaucoup désirent le briser désormais.
Les professionne·l·l·es du Brésil notamment, comme le dentiste Armando Piva, qui constate que "le désir des agresseurs" dans ce genre de situations "est de couper l'envie de sourire aux femmes". Dans son cabinet, le chirurgien souhaite au contraire le redonner à ces victimes. C'est là l'objet de l'ONG Apolônias do Bem, dont le dentiste fait partie, à l'instar de nombreux confrères et de nombreuses consoeurs du milieu.
Le suivi proposé par l'organisation non gouvernementale a des effets concrets : plus de mille femmes ont ainsi pu être traitées en six ans d'existence. Les coûteux implants qui leur sont posés ont été financés par des dons de particuliers, de médecins et d'entreprises. Des soins qui font le plus grand bien à ces femmes privées de sourires. Mais qui n'empêche pas pour autant cette banalisation de l'horreur de se poursuivre. La preuve : dans son cabinet, Armando Piva dit avoir accueilli un nombre "gigantesque" de victimes édentées, quêtant leur guérison. La prévention des violences et la protection des victimes, quant à elles, semblent désespérément insuffisantes au sein de la société brésilienne.