"Hilarant et provocateur", c'est ainsi qu'est qualifié le scénario d'Un homme heureux de Tristan Séguéla, par le directeur de la distribution internationale de Gaumont Alexis Cassanet. Un long-métrage "dans la lignée de La Cage aux folles et de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?", précise-t-il au magazine américain Variety, dont le tournage devrait débuter en avril 2021 pour une sortie en 2022.
Et d'assurer : "C'est une comédie très contemporaine qui parle de sujets très actuels et aborde l'affrontement entre conservatisme et progressisme, avec des acteurs parfaits dans leur rôle respectif." Les références font frémir, et ce n'est que le début de ce qui cloche sérieusement avec ce projet.
Prenons le synopsis par exemple. D'après BFM, il s'agit de l'histoire de Jean (Fabrice Lucchini), maire conservateur d'une petite ville de Bretagne qui fait campagne pour sa réélection. Edith (Catherine Frot), sa femme depuis quarante ans, lui annonce son coming out trans. Inquiet pour son mandat, le candidat lui demande de reporter sa transition au lendemain du vote. Elle accepte, mais la rumeur commence à courir.
Catherine Frot, une actrice cisgenre, interprétera donc un homme trans. Et c'est bien là que le bat blesse. En acceptant ce rôle, la comédienne (aussi talentueuse soit-elle par ailleurs), participe malheureusement à invisibiliser les personnes trans, et le film à ignorer leur sous-représentation ravageuse.
Plutôt que de choisir un acteur trans dont cette histoire est réalité, et de contribuer à donner un espace et une voix aux artistes LGBTQIA+, Un homme heureux se contente de mettre en scène des noms connus mais étrangers à ces problématiques. Et a fortiori, de véhiculer un récit et des comportements stéréotypés, car calqués sur des idées reçues plutôt qu'un vécu propre et fidèle.
La preuve, avec des bribes du scénario diffusées sur Twitter par l'actrice trans Pomme Ferron, qui aurait été approchée pour le rôle secondaire de Carole. Dans un thread, la jeune femme épingle plusieurs détails qui n'en sont clairement pas.
Entre autres, "les lignes du personnages de Catherine Frot sont SYSTEMATIQUEMENT introduites par son deadname (nom de naissance correspondant à son genre de naissance, ndlr). C'est déjà mauvais signe (s'il en fallait un de plus) sur comment sont considérées les personnes trans d'après les créateurs". Ensuite, les traits prêtés au personnage qui lui est destiné : "Le personnage de Carole décrite comme celle qui arrive en hauts talons, qui dit à tout le monde de se coincer, est totalement dans la caricature de la femme trans qui prend de la place". Et les conséquences sont loin d'être inoffensives.
Au lieu d'éveiller avec finesse et sensibilité le public à la transidentité, un tel film risque de se faire le vecteur de clichés réducteurs et contre-productifs, nocifs à la communauté qu'il échouera sûrement à dépeindre s'il ne change pas son point de vue (cis).
Et par la même occasion, de donner du crédit aux rires gras et transphobes qui - comme Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? avec les stéréotypes racistes - résonneront certainement devant les attitudes caricaturales que le script fera prendre aux quelques interprètes trans choisi·e·s pour des dialogues de second plan. Un projet qui s'annonce à côté de la plaque au mieux, dangereux au pire - tant il transformerait en vaste blague ce sujet ô combien sérieux et délicat.
Reste à espérer que, comme Halle Berry en juillet 2020, Catherine Frot prenne conscience de ce dans quoi elle s'embarque, décide de faire marche arrière pour laisser la place à une personne légitime, et participe cette fois à transformer un probable navet en long-métrage touchant et nécessaire.