Les journées raccourcissent et les mesures sanitaires se renforcent. Le moral des troupes, lui, est en chute libre. On ne sait pas vraiment ce que nous réserve l'avenir, ni comment. Le temps est long, la période difficile. Particulièrement pour les célibataires, à en croire les concerné·e·s. L'hiver peut devenir un peu rude quand on n'a personne contre qui se blottir. Mais là, on atteint un paroxysme.
Les perspectives de rencontres se raréfient à vue d'oeil et le choix entre rester chez soi et rentrer chez papa-maman en cas de probable reconfinement file de l'urticaire, tout comme la solitude - singulière - qu'impliquent l'une et l'autre option. Restent les applis de dating et les rendez-vous sur Zoom. Mais encore faut-il savoir manier l'outil 2.0, ou simplement vouloir s'y lancer. Pas simple, d'être solo en 2020.
Deux vingtenaires nous confient leurs craintes et leurs doutes, alors que le reconfinement se profile, tandis qu'un psy nous donne des clés pour ne pas trop déprimer.
Mathilde a 28 ans et en a ras-le-bol. On la comprend : bien que la distanciation sociale soit essentielle, elle n'en demeure pas moins source de frustration et d'impuissance légitimes. "Psychologiquement parlant, c'est dur", nous lâche-t-elle par téléphone. La jeune femme, célibataire depuis deux ans, l'affirme sans hésitation : "J'appréhende beaucoup cet hiver. Déjà, la saison en elle-même est plus difficile quand on est seule. On est un peu plus isolée car les gens font moins de choses, on se voit moins. Et puis, il fait froid, c'est assez morose."
En 2020, ce qui d'habitude lui met du baume au coeur est devenu inaccessible. "Dans ces moments-là, c'est plus important pour moi d'aller au travail, de sortir, de retrouver mes amis... Mais avec les mesures de sécurité, c'est forcément plus compliqué de créer du lien social." Elle explique s'inquiéter pour l'avenir, et avoir peur que d'ici à ce que les choses reviennent à la "normale", "deux ans de [sa] vie passent à la trappe". Deux ans charnières, estime Mathilde. "A 28 ans, c'est un peu le moment où tu as envie de te caser, d'avoir une relation stable et de te projeter. Et là, la pandémie nous bloque."
Pendant la première vague de l'épidémie de Covid, elle a fui son appartement parisien pour sa maison de famille. Avec ce nouveau reconfinement, elle optera pour une option similaire. "Si je reste à Paris, je serais seule, ce que je souhaite éviter à tout prix. Je ne le vivrais pas bien du tout, ça m'effraie énormément. C'est lourd de passer autant de temps sans personne de visu avec qui discuter. Donc je réfléchis à plusieurs pistes : me confiner avec des copains, ou alors à nouveau chez mes parents."
Se retrouver en tête-à-tête avec soi-même, c'est aussi ce que Margot, 28 ans et célibataire depuis environ deux ans également, redoute. "Avoir le travail comme unique 'divertissement', c'est dur", nous confie la Parisienne originaire de Picardie, qui a décidé d'y retourner rapidement. "J'ai besoin de parler et des autres pour me sentir bien. Être toute seule trop longtemps, le fait de ne pas partager le peu que tu fais avec quelqu'un, ça me fait peur : j'aurais l'impression de devenir un peu folle, je pense."
Les deux jeunes femmes estiment d'ailleurs qu'être en couple, dans ce cas précis d'auto-isolation, constitue de vrais avantages. Psychologiques comme plus pratiques. "Quand on arrive à faire que les choses se passent bien, c'est un vrai plus pour le moral", assure Margot. "C'est bête, mais à deux, on discute, on peut faire un jeu de cartes, un concours de cuisine... Alors que toute seule, ton concours de cuisine, il n'intéresse personne !"
Mathilde tacle la pression sociale qui entoure sa démographie : "C'est pesant d'être célibataire à notre âge, dans la société dans laquelle on est. Par ailleurs, la situation actuelle renforce aussi les inégalités relationnelles. Les gens qui sont en couple ne se rendent pas toujours compte d'à quel point ça peut être difficile de se retrouver isolée chez soi, en solitaire. Alors ce n'est peut-être pas facile non plus d'être confiné·e·s avec son ou sa partenaire, mais ça n'empêche pas d'avancer dans sa vie, de faire des projets. Nous, notre vie se met en pause de façon contrainte."
Pour mettre toutes les chances de son côté, Mathilde se rend, depuis le monde d'avant, sur des applis de rencontre. D'ailleurs, le réflexe a pris de l'ampleur récemment, incarnant une vraie solution pour pallier le manque d'opportunités dans la vie réelle. "Ça s'est de plus en plus démocratisé", observe-t-elle, "beaucoup de gens réticents au départ s'y sont inscrits." Cependant, la manoeuvre n'est pas toujours chose aisée.
En tout cas, pas pour Margot. Elle nous raconte ne pas se considérer comme une "pro de la drague" de manière générale, ni être "très douée" sur Tinder, Happn et autres Bumble. Malgré tout, elle a passé le pas cette année. Une "preuve", s'il en fallait, qu'elle redoute plus qu'à l'accoutumée l'approche de la saison froide. "Je m'y suis mise car je ne voyais pas vraiment d'autres solutions [pour rencontrer quelqu'un]. Parce que forcément, quand on est six chez soi, on n'invite pas ses amis d'amis. Mais ça ne marche pas vraiment, je pense qu'il y a quelque chose que je ne fais pas correctement", sourit-elle. "Ce sera une année blanche".
Pour Pascal Anger, psychothérapeute, les romances à distance peuvent apporter du bon, de la compagnie, mais il met toutefois en garde contre les faux-semblants et les soucis de communication. Quand on vit une relation naissante par téléphone, ce qui est censé nous remonter le moral et nous faire du bien "peut aussi devenir source de problèmes, de complications". Et donc de négativité.
Alors, que faire ?
Le spécialiste recommande plusieurs stratagèmes : "On essaie de s'adapter comme on peut. Il faut trouver de nouvelles joies et de nouveaux plaisirs. C'est également important de tenter de vivre cette solitude différemment, d'essayer d'en faire une amie plus qu'une ennemie. Et puis, de se serrer les coudes entre célibataires. De trouver des personnes qui sont dans le même cas que soi". Pour se livrer, décompresser, raconter nos peurs et, si on y arrive, les tourner en dérision.
Pascal Anger évoque même l'idée de choisir quelques-uns de ses proches et de se confiner ensemble, "dans une maison avec des espaces individuels et communs". Une sorte de "support bubble", un terme anglais qui se traduit par "bulle de soutien", et qui permet à ceux et celles qui n'ont pas de partenaire de ne pas se retrouver seul·e·s, justement, en formant un cercle restreint avec des gens de confiance, qui ne sont pas à risque, et qu'il est possible de fréquenter.
Et puis, se rendre utile. "Dans le milieu associatif, par exemple", avance l'expert, qui peut être source de rencontres. "Tirer aussi des leçons personnelles du premier confinement : ce qui a été bénéfique, ce qui ne l'a pas été. A chacun·e de trouver ses ressources, mais surtout : ne pas désespérer. Se dire que l'humain a toujours rebondi, et ce qui est essentiel, c'est de savoir et de pouvoir rebondir". Tout ça, en attendant des jours meilleurs...