Tout le monde connaît l'histoire de Cendrillon. Ce conte traditionnel, rendu célèbre par Charles Perrault puis par les frères Grimm, dans lequel une jeune fille, orpheline d'une mère gentille et douce, se retrouve quasi-esclave de sa marâtre et de ses filles. Cette jeune fille est surnommée Cendrillon car elle passe toute la journée à entretenir le foyer et est donc maculée de cendres. Malgré les brimades et les moqueries de sa nouvelle famille (le père, absent, n'intervient jamais pour protéger sa fille), Cendrillon se garde de pensées méchantes envers elle et continue de mettre tout son coeur à l'ouvrage.
Vous commencez à voir ce qu'est le complexe de Cendrillon ? La version moderne de Cendrillon pourrait s'appeler Sylvie ou Nathalie, qui se démène au travail en journée et enchaîne en rentrant à la maison : lessives, cuisine, ménage, devoirs des enfants et autre corvée en attendant qu'un élément extérieur vienne la libérer ou au moins la gratifier et la valoriser... Dans le conte, c'est un prince charmant, dans la vraie vie, un patron ? Un mari ou compagnon ? Ça y est, le schéma d'interdépendance est en place.
Dans ce syndrome, il n'y a qu'un seul gagnant. Nathalie donne tout au travail en s'abîmant avec des symptômes à répétition, et ne reçoit jamais aucune valorisation de son patron qui se permet, en plus, des réflexions auxquelles elle ne répond jamais.
Quant à Sylvie, c'est à la maison qu'elle a mis en place ce schéma : elle prend soin à l'extrême de son mari et de ses grands ados, en devançant même leurs désirs sans jamais un compliment, ni même un merci... Elle n'a plus de temps pour aller à la gym, chez le coiffeur, ni même prendre un café avec ses copines. Bref, elles acceptent tout cela en râlant et en étant frustrées sans pour autant chercher à s'émanciper. Une cage dorée préférable à une liberté incertaine, comme le disait déjà Simone de Beauvoir : " les femmes acceptent leur soumission pour éviter la tension d'une vie authentique ".
C'est Colette Dowling qui, en 1981 (Le complexe de Cendrillon, Grasset, 1982), a donné ce nom de "complexe de Cendrillon" en partant de l'observation de sa propre vie. Alors même que son nouveau compagnon ne lui demande rien, de femme écrivaine indépendante élevant seule ses trois enfants, elle se transforme, de par sa propre volonté, en femme au foyer cuisinant de bons petits plats, gardant la maison impeccable, n'investit plus sa carrière et finit par ne plus se reconnaître. C'est après des discussions avec son compagnon qu'elle écrit un article qui trouve un écho auprès d'une multitude de femmes qui se reconnaissent dans ce schéma.
Alors quoi ? Que se passe-t-il dans la tête de ces femmes pour qui s'oublier semble la norme ? Le point de départ vient-il d'une imposition extérieure ou bien d'une auto-injonction à se mettre entre parenthèses au profit d'autrui ? Est-ce un manque de reconnaissance dans l'enfance qui fait naître chez une petite fille l'envie d'en faire deux fois plus pour être regardée et valorisée ? Est-ce une reproduction des schémas familiaux, sociétaux qui veut que nous, les femmes, recevons l'injonction de tout faire pour nous sentir légitimes ? Est-ce un trauma de l'enfance (Cendrillon est en deuil de sa mère) mal surmonté qui empêche de réagir face aux ordres, aux dévalorisations ?
Et si ça n'était pas seulement une histoire genrée de fille attendant sa libération par un prince charmant ? Et si c'était multifactoriel justement ? Car depuis 1981, quarante ans ont passé et Saverio Tomasella, dans son dernier livre Se libérer du complexe de Cendrillon (Eyrolles, 2020), nous montre que des hommes aussi présentent des signes de ce complexe de Cendrillon.
Et oui, attendre une reconnaissance extérieure, et assurément illusoire, ou foncer tête baissée au travail jusqu'à l'épuisement ne serait pas uniquement une spécialité féminine. Le psychanalyste franco-suisse nous donne une lecture différente du conte qui permet de ne pas se sentir uniquement la pauvre petite victime. Il met en évidence la créativité de l'inconscient incarnée par la bonne fée sa marraine, qui permet aux désirs de Cendrillon non seulement de s'exprimer, mais de se réaliser enfin. De quoi être optimiste pour entendre ses besoins, ses désirs et surtout les concrétiser.
Bien sûr, cela va passer inévitablement par une transformation de l'éducation des filles mais aussi des garçons, par l'écoute de ses désirs et surtout sa responsabilisation dans leur réalisation. Car les contes de fées d'hier se sont transformés en séries pour ados où les normes de la jeune-fille-qui-arrête-ses-études-pour-suivre-un-bellâtre-riche (comme dans la saga Twilight par exemple) sont encore très présentes.
Heureusement, dans les dessins animés pour enfants, cela tend à changer progressivement : les princesses Mulan ou Fiona dans Shrek sont (certes, à la fin du dessin animé) les égales des princes. Il est grand temps de changer les modèles féminins.
● Étape 1 : Reconnaître chez soi ce fonctionnement
Identifier les actions qui peuvent montrer que nous sommes éventuellement dans ce schéma de comportement. Car la prise de conscience est le point de départ de tout changement.
● Étape 2 : Reprendre sa responsabilité
Revenir à soi, à ses besoins et à ses désirs propres, et surtout, à son histoire. Car oui, des violences psychologiques ou physiques subies dans l'enfance peuvent amener à l'apparition de ce syndrome, de même qu'une éducation sans affect ou avec des émotions bridées. Se mettre en lien avec son passé et l'accepter sans culpabilité sera donc la deuxième étape. Il s'agira ensuite d'accepter que ce schéma n'existe que si chacun est partie prenante du système... pas si facile, mais indispensable.
● Étape 3 : Se faire aider
Sortir d'un système n'est jamais une chose facile et être accompagné par un professionnel est un soutien indispensable, surtout dans les cas d'enfance traumatique.
Par Anne Demangeat, psychopraticienne.