"Pourquoi les gens qui s'aiment sont-ils toujours un peu les mêmes ?", se demandait William Sheller dans son hit mélancolique. Un peu les mêmes, vraiment ? Ce n'est pourtant pas trop le cas dans l'étonnant Un homme heureux de Tristan Séguéla, film comique qui nous raconte les péripéties qui adviennent lorsque la femme d'un vieux réac (un maire de droite très porté traditions), épouse aimante interprétée par Catherine Frot, annonce à ce dernier (Fabrice Luchini), qu'elle veut devenir un homme - ou plutôt qu'elle l'a toujours été.
Oui oui, Un homme heureux est donc une comédie française populaire sur la transidentité. Pas banal et même plutôt audacieux. Mais pas forcément enthousiasmant non plus, puisque ce postulat laisse largement présager le pire. Alors, bilan des courses ? On est allé vérifier pour vous.
Un homme heureux ne partait pas vraiment gagnant en surfant sur un pitch basique de querelle conjugale, conflit leadé par un vieux mec antipathique comme les comédies françaises aiment tant les dépeindre - et nous les faire aimer car au fond "personne n'est parfait", au secours. Mais ce serait sans compter sur une intention louable : respecter les personnes transgenres, même dans un cadre de vaudeville aux séquences attendues.
Etre respectueux, mais comment ? Déjà, en mettant en lumière les principales concernées. C'est le cas : le film a bénéficié de la participation et par extension de la validation de plusieurs personnes transgenres, détaille dans ce thread Twitter le cofondateur de Représentrans, l'annuaire en ligne d'acteur·ice·s trans et non-binaires.
"C'est un film qui ne blesse pas les spectateur·ices trans, fait rare, et pourrait aider des familles et des personnes à se familiariser avec les transidentités", affirme ce dernier. Et ça fait toute la diff'. Sur Twitter ainsi, une militante pour les droits trans l'atteste : "Le film s'il a du succès ouvrira la porte à plus. J'ai hâte que d'autres projets de cette portée naissent. J'espère qu'il permettra de banaliser un sujet qui devrait l'être par essence".
Et puis, il y a "l'homme heureux" du titre : Catherine Frot. Aux antipodes d'un Luchini qui s'exerce à surpasser Christian Clavier dans la cour des cabotins, l'actrice délivre une partition digne, aussi touchante que flamboyante en personne marginalisée mais certaine d'une chose : qui iel est. C'est son cheminement de mère idéalisée à homme accompli qui nous intéresse avant tout, et semble préoccuper le réalisateur. Et à travers cela, la haine et les insultes vécues, mais aussi le soutien éprouvé (notamment auprès de ses ami·e·s trans et gays), et les convictions, assumées.
Tout au long de son parcours, des mots-clés seront par ailleurs évoqués voire longuement expliqués aux spectateurs pas forcément au fait du lexique : cisgenre, transition, identité de genre, dead-name, non-binarité... De quoi faire hurler les transphobes, d'ores et déjà ridiculisés par ce personnage d'époux insupportable - même son bras droit beauf le trouve réac, c'est dire.
Un côté didactique qui, s'il est parfois trop surligné, s'avère plutôt salutaire et fait pencher la balance du bon côté - pas celui de Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu donc. Et s'il fallait investir le champ de la comédie française conventionnelle pour éveiller les consciences et sensibiliser ? C'est le pari qu'a pris Tristan Séguéla non sans consulter au préalable la communauté trans. En espérant que cela porte ses fruits.