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Le petit guide pratique pour réagir face à un proche complotiste à Noël
Publié le 11 décembre 2020 à 19:44
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Hold-Up", le Covid-19, les masques, le vaccin, Donald Trump... En 2020, les sujets clivants ne font pas exception et les théories du complot qui les accompagnent non plus. Pour éviter conflits et discussions houleuses à Noël, quelques techniques expertes sont nécessaires. Les voici.
Comment réagir face à un complotiste ? Comment réagir face à un complotiste ?© Adobe Stock
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Dans toutes les familles, il y en a un. Un cousin conspirationniste. Parfois une cousine, parfois un frère, parfois quelqu'un chez qui on ne soupçonnait pas une telle analyse du monde un an en arrière : on y échappe rarement. Et en cette année 2020, on redoute particulièrement d'être assis·e à ses côtés le soir du réveillon. On l'aime beaucoup (ou pas), mais avec une pandémie mondiale, un climat politique fébrile et un futur plutôt incertain, on manque de force à l'idée de devoir débattre de l'un ou des autres. Ou de la mort de Michael Jackson.

Au gré de ses publications Facebook, on a aussi assisté à une radicalisation dans ses prises de position, et surtout à l'affirmation de son adhésion à de multiples théories du complot. Dernier post en date : le partage de la bande-annonce du "documentaire" Hold Up, qui avance, entre autres, l'idée que le coronavirus serait une invention du gouvernement pour se débarrasser des vieux, légendée de trois mots : "à voir absolument".

On le dit comme on le pense : ça nous angoisse. Et nous fait craindre qu'une discussion un peu trop animée pourrait sonner le glas du Noël réconfortant dont on a tant besoin. Comment faire, alors, pour converser sans glisser sur un terrain trop dangereux, et ne pas en venir à quitter la table de rage et de frustration ? En se nourrissant, avant la dinde, de parole d'expert·e·s qui planchaient déjà sur le sujet quand QAnon n'existait pas.

Non, la moquerie ou le mépris ne mènent à rien...

...Si ce n'est à renforcer un sentiment d'humiliation nocif, et finir par desservir sa propre cause. "Dire à un membre de la famille qui croit à un complot qu'il est fou, insensé, stupide, maladroit, fanatique ou quoi que ce soit de ce genre est voué à l'échec", assure au magazine PopSugar Yotam Ophir, docteur et professeur assistant en communication, et expert dans les domaines des effets médiatiques, de la persuasion et de la désinformation. "Les gens ont une très bonne perception d'eux-mêmes la plupart du temps, et la remise en cause de cette perception entraînera des processus psychologiques défensifs qui renforceront encore plus la fausse croyance."

Pour Colin Dickey, auteur et universitaire, même observation. "Certaines personnes adoptent la pensée conspiratrice parce qu'elle s'aligne sur une facette essentielle de leur identité", appuie-t-il dans les colonnes du New York Times. Critiquer de manière agressive leur vision de la société reviendrait à leur donner l'impression de les "attaquer personnellement", et donc à mettre fin à tout dialogue.

Pour Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l'Université libre de Bruxelles, une attitude aussi fermée alimenterait même les arguments des conspirationnistes. Auprès des journalistes de Franceinfo, il développe : "En leur disant : 'Vous êtes complotistes', vous dites en même temps : 'Je ne suis pas complotiste' et vous construisez la relation comme articulée sur ces deux identités opposées. A partir du moment où on commence une discussion non pas en mettant en exergue ce qui vous rassemble mais ce qui vous distingue, il n'y a plus moyen de discuter."

Se rejoindre sur des idées communes

A la place, il semble plus judicieux de réaliser que ces discours sont suscités par une vulnérabilité, une peur que l'on partage nous aussi, mais que l'on manifeste vraisemblablement différemment. "Au lieu de dire : 'Je ne peux pas croire que tu tombes dans le panneau', préférez : 'J'ai entendu d'autres personnes en parler aussi. Et je suis d'accord, de nos jours, il y a tellement d'informations qu'il peut être difficile de savoir ce qu'il faut croire", avise à son tour Joshua Coleman, psychologue expert en relations familiales, à The Atlantic.

Olivier Klein conseille également de "créer une forme de terrain d'entente, de mettre en commun ce qui nous unit plutôt que ce qui nous différencie", assurant cette fois qu'à partir de là, "on peut discuter". "Ainsi, il me semble particulièrement important de reconnaître la source même de l'adhésion, par exemple une interrogation, voire un sentiment de révolte, par rapport à la façon dont la pandémie a été gérée", évoque le spécialiste. Se rassembler plutôt que de se déchirer, pour mieux rationaliser la conversation par la suite.

Ou comme dirait Rachael Piltch-Loeb, de l'école de santé publique T. H. Chan de Harvard, "valider d'abord [les craintes de l'autre] et ensuite pivoter" vers des infos sûres.

Comment survivre à une discussion avec un proche conspirationniste à Noël © Adobe Stock
Ecouter ses arguments pour les "débunker"

L'experte donne un exemple concret de la façon dont elle s'adresserait à un·e proche conspirationniste, qui pourrait typiquement s'appliquer aux spectateur·rice·s de Hold Up : "Je suis contente que tu aies soulevé cette question. Ce sont des affirmations effrayantes que l'on voit dans ce documentaire. Je suis sceptique, cependant, parce que beaucoup des choses mentionnées ne correspondent pas à ce que j'ai lu. Voici un article que j'ai trouvé plus utile pour expliquer ces questions, et je me sens plus à l'aise avec la science qui se cache derrière".

Colin Dickey confie quant à lui utiliser une technique sensiblement dissemblable : celle de donner l'exemple de conspirations prouvées, et de "montrer comment elles se déroulent".

"J'explique comment, dans les conspirations passées (le Watergate ou l'affaire de trafic sexuel qui incrimine l'homme d'affaires Jeffrey Epstein, ndlr), il y a généralement un dénonciateur ou un reportage, et puis tout se dénoue rapidement. Les témoins se présentent, puis les victimes. Et les journalistes tournent en rond comme des requins pour obtenir l'information", dissèque-t-il. "J'essaie de leur faire réfléchir à des choses concrètes et à des détails logistiques, y compris la bureaucratie nécessaire pour maintenir ces vastes complots présumés".

Pour ce qui est de "débunker" des fake news à l'aide d'articles qui les discréditent, la tâche peut s'avérer délicate. Surtout quand les sources de vérification d'informations (aussi appelé "fact-checking") que l'on présente pour appuyer nos propos, proviennent de médias largement mis en doute par les adeptes de théories du complot. Pour autant, elle n'est pas vaine. Olivier Klein explique simplement à Franceinfo qu'il ne faut pas présenter cette documentation comme "la vérité absolue", mais comme une autre piste de réflexion, une façon d'enrichir le débat.

Un stratagème efficace chez celles et ceux qui restent "un peu à la marge, pas totalement convaincus", assure le professeur de psychologie sociale. Mais pas chez les complotistes endurci·e·s. Dans ce cas-là, reste à s'extirper de la discussion pour limiter la casse.

Savoir quand changer de sujet

"Vous ne pouvez pas gagner le débat si vous perdez la relation", avertit Jenny TeGrotenhuis, thérapeute familiale, à PopSugar. "Si vous vous souciez du membre de votre famille et que vous voulez avoir la possibilité de poursuivre ce dialogue avec lui ou elle, vous devrez peut-être faire quelques concessions. Et ce n'est pas grave." Parmi ces compromis, le fait de dévier lentement vers un sujet plus fédérateur, moins clivant, pour retrouver un sentiment de paix non négligeable pendant les fêtes de fin d'année.

Quelques exemples au hasard : la météo, le succès du repas, le départ de Jean-Pierre Pernaut du 13 heures de TF1, "qui nous fout quand même un sacré coup". Ou de tout simplement lui laisser le dernier mot.

La spécialiste assure finalement qu'il est essentiel de se rappeler que l'on aborde ces conversations comme on plante des graines. On ne verra peut-être pas de résultats tout de suite, mais en utilisant des stratégies avec finesse et sans condescendance, on peut espérer que quelque chose prenne racine.

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