Si le nom de Caprice Bourret ne parle pas forcément aux Français·e·s, outre-Atlantique comme outre-Manche, la présentatrice, mannequin et femme d'affaires déchaîne depuis longtemps les passions. Et les tabloïds.
30 ans après l'apogée de sa carrière de supermodel (elle fut la femme la plus photographiée des années 90, avec plus de 250 couv' au compteur), elle y apparaît encore fréquemment pour ses "abdos incroyablement toniques", ses "jambes interminables" et ses tenues diverses et variées - Unes et papiers authentiques qu'elle ne manque d'ailleurs jamais de partager sur sa page Instagram.
Une touche-à-tout expatriée à Londres qui peut aujourd'hui se targuer d'une influence non négligeable (206 000 abonné·e·s suivent ses péripéties sur le réseau social). Et malheureusement, c'est ce qui nous amène à l'évoquer, d'avoir déclenché un tollé aussi récent que sévère parmi les défenseur·ses du consentement. Nous, donc.
Tout est parti d'une interview donnée au magazine britannique OK!, où elle prône avec ferveur le concept de "sexe d'entretien" ("maintenance sex" en anglais), soit de pratiquer le coït dans le simple but d'entretenir son couple et de s'assurer qu'il ne batte pas de l'aile.
Comme conseils - ô combien discutables - Caprice Bourret développe depuis sa demeure de rêve à Ibiza : "Vous ne pouvez pas dire 'je suis fatiguée' ou 'j'ai mal à la tête' - non ! Faites-le pour l'équipe, c'est entre cinq et dix minutes de votre vie", lâche-t-elle, convaincue. Et de poursuivre, non sans donner raison à des générations de machos : "Les hommes sont des créatures simples. Vous les nourrissez, vous leur faites des compliments et l'amour et ils sont heureux." Tu nous en diras tant.
Plus loin, elle continue de s'enfoncer, assurant qu'une fois que le sexe n'existe plus dans une relation, "c'est terminé". "Vous devez raviver la flamme. Et si vous pouvez vous reposer de votre journée et en profiter, c'est génial. C'est le moyen le plus efficace d'évacuer le stress."
Scientifiquement, ce dernier argument tient effectivement la route - lorsque le rapport est consenti. Pour le reste en revanche, c'est un loupé considérable. Ou plutôt, une contribution notoire à l'idée que les femmes hétéros devraient satisfaire leur compagnon, répondre à ses désirs aux dépens des leurs et garder pour elles leurs états d'âmes puisqu'après tout, envie ou non, ce ne sont que "cinq à dix minutes de leur vie". Le sacrifice vaut la peine, à écouter Caprice Bourret : il déboucherait sur un véritable bonheur conjugal, dont elles seraient les seules responsables. Mais le bonheur de qui, au juste ?
La quadragénaire n'est pas la seule à avoir mis le sujet sur le tapis. D'autres personnalités et médias ont eux aussi affirmé que pour que leur mariage marche, il fallait se tenir à une certaine fréquence sexuelle. Quelles que soient nos motivations. De l'Américain NBC à Brides en passant par les très sérieux Times et Metro britanniques, tout le monde se l'approprie, n'apportant pas toujours de critique nécessaire.
Pour des chercheur·e·s russes et américaines pourtant, ce que nombreuses lignes décrivent comme la clé d'une entente sans accroc n'est ni plus ni moins que du "sexe non-voulu". Comprendre qu'il est consenti, puisque les deux partis sont d'accord pour s'y adonner, mais que les raisons qui poussent ces dernier·e·s aux ébats sont moins charnelles que stratégiques. Pas pour le coït en lui-même, mais pour ce qu'il apporterait au lien qui nous unit à l'autre. Et cette "pratique" est loin d'être isolée, peu importe l'âge. Sur plus de 1 500 étudiantes interrogées en 1994, 55 % admettaient avoir accepté un rapport "non-voulu".
Un réflexe qui "repose sur des idéaux hétéronormatifs qui perpétuent les stéréotypes sexistes entourant la sexualité", dénonce à ce titre la Dre Pragya Agarwal, scientifique spécialiste du comportement et des données. Auprès de The Independent, elle fustige : "Aucune femme ne devrait jamais avoir à avoir des 'rapports sexuels d'entretien' avec son mari". Et épingle une vision archaïque et genrée de la sexualité.
"Ces idées soutiennent le point de vue selon lequel la sexualité masculine est incarnée par une libido plus élevée que celle des femmes, où leurs pulsions sont incontrôlables", déplore-t-elle. "Et que le rôle des femmes est de s'allonger et d'être passives, tandis que les hommes sont des fonceurs."
Un avis auquel adhère l'activiste bisexuelle et autrice Lois Shearing, qui signe dans un billet sobrement intitulé Why maintenance sex is bullshit : "À mon avis, ce conseil rend un mauvais service aux deux parties. Il suppose que les hommes ne sont pas capables de se défaire de l'idée patriarcale selon laquelle ils ne peuvent s'intéresser à l'intimité que par le sexe, plutôt que d'apprendre à trouver une connexion profonde dans l'affection non sexuelle. Mais plus important encore, cela met leurs femmes dans une position vulnérable."
Elle rappelle en outre : "Pour qu'un rapport sexuel soit consensuel, il doit être librement consenti, rétractable, informé, enthousiaste et sûr." Ce qui disqualifie d'entrée le sexe d'entretien.
La psychologue Jo Hemmings note à son tour avec pertinence : "Nous devons examiner pourquoi les femmes peuvent avoir l'impression qu'il est nécessaire de considérer le sexe comme quelque chose qui doit être entretenu plutôt que d'en profiter". Elle reconnaît par ailleurs que les changements hormonaux auxquels sont confrontées les femmes cisgenres influent sur leur libido.
D'autres, peuvent simplement "avoir la flemme", sans perdre l'envie, lorsqu'une relation s'installe dans la durée, et souhaiter que les choses soient différentes à ce sujet. Ou encore, d'aborder le rapport sans qu'il ne tourne obligatoirement autour de la pénétration, nous confiait notamment Soraya, 31 ans. Mais dans tous les cas, envisager le sexe comme une corvée quotidienne qui garantirait la solidité de l'affection que nous porte notre partenaire n'a rien de salutaire.
"Il ne faut surtout pas se forcer", insiste Tiphaine Besnard-Santini, sexologue. A celles qui veulent retrouver la flamme au lit, l'experte conseille plutôt de miser sur la nouveauté : "Afin de reprendre la main sur son désir, si la flemme vient comme une sorte de lassitude, de routine car on couche avec la personne depuis longtemps, il peut être judicieux de tester quelque chose de nouveau. De nouvelles pratiques, de nouveaux fantasmes, ou encore une troisième personne..." Rien à voir avec le coup de 300 secondes pour faire plaisir à la "créature simple" qui nous servirait de conjoint, donc.
Allison Moon, autrice de Getting It: A Guide to Hot, Healthy Hookups and Shame-Free Sex, tient quant à elle à rétablir une vérité qui semble balayée par Caprice Bourret, et autres adeptes du "maintenance sex" : le cul n'est pas toujours un ingrédient indispensable à l'intimité. "Il y a beaucoup de gens dans des mariages épanouis et sans sexe. Et il y a plein de gens qui font l'amour comme des lapins", affirme-t-elle auprès de USA Today. Et de conclure : "La meilleure quantité de sexe est celle que vous voulez avoir". A imprimer.