"Médiocre", d'après le Larousse, ça veut dire "moyen". Pas vraiment nul, pas bon non plus, un terme qui qualifie un entre deux qu'on accepte faute de mieux. Jusqu'à ce qu'au lit, on n'en puisse plus. Qu'on veuille plus de plaisir, d'étincelles, de renouveau. Qu'on décide qu'on ne se contentera plus de parties de jambes en l'air pas terribles parce qu'on mérite l'apothéose. C'est vrai.
Seulement, appliqué à la vie quotidienne d'un couple ensemble depuis un bail, qui plus est avec des gosses, garder le rythme intensif du sexe avec piment est souvent irréalisable. Pas le temps, souvent la flemme : dur de trouver un créneau et de se tenir à une fréquence similaire aux débuts. Et puis parfois, on en vient à culpabiliser, à s'empêtrer dans les filets d'une pression nouvelle. Une sorte d'injonction à la performance en matière de coït qui rend l'acte moins détendu, moins naturel.
Puisqu'il faut jouir absolument, on finit par se concentrer davantage sur la fin que sur le moment. Et par se mettre soit même des bâtons dans les roues, alors qu'on aurait pu juste apprécier des câlins rapides mais réconfortants, aussi passables soient-ils.
Alors bien sûr, et on insiste, il faut être deux dans le même bateau. Il ne s'agit en aucun cas de dire "oui" à une vie de frustration qui consisterait à ce que l'autre priorise son propre plaisir, nous laissant sur notre faim systématiquement. Et encore moins dire "oui" quand on n'en a pas envie. Non, par sexe "médiocre", on parle de ces ébats qui, de chaque côté du lit, ne cassent pas trois pattes à un canard, mais qui ont le mérite d'exister. Qui ne seraient ni bâclés ni synonymes d'un manque d'intérêt pour l'autre ou soi, mais plutôt révélateur d'une vérité à imprimer : la vie n'est pas une suite d'orgasmes multiples.
Dans un article pour Psychology Today, le thérapeute conjugal et familial Assael Romanelli signe d'ailleurs une ode au "sexe médiocre", qu'il qualifie sans détour de "merveilleux". Pour la simple et bonne raison que selon lui, il est "inévitable" et entretient surtout une connexion essentielle au sein d'un couple. Parce qu'il prouve que l'on se fait assez confiance pour s'affranchir de la fameuse performance.
"Tôt ou tard dans chaque relation, le sexe deviendra quelque peu moyen, insatisfaisant et peut-être même décevant. C'est un fait", affirme l'expert de manière cruellement honnête. "Et lorsque cela se produit, les couples ressentent de la honte. Parfois, ils sont persuadés que des relations sexuelles médiocres sont un signe qu'ils ne devraient pas être ensemble parce qu'ils ont 'perdu l'étincelle' ou qu'ils ne sont pas si compatibles."
"Pour de nombreux couples, il existe une dichotomie", déplore-t-il encore. "Soit du sexe torride, soit rien du tout. Et lorsque les partenaires finissent pas s'y mettre, l'accumulation d'attente et de pression sont si élevées que les chances de vivre une expérience optimale sont faibles." Pas franchement réjouissant. A force de vouloir à tout prix passer outre ce coït moins quali pour n'expérimenter que la crème de la crème, on finit ainsi par attirer ce qu'on redoute, assure le thérapeute.
"Ce schéma devient une prophétie auto-réalisatrice de mauvais rapports sexuels, cimente la tension et peut finalement mener à ce que l'on appelle 'le mariage sans sexe'". Frissons (ou pas : on rappelle que la fréquence de nos rapports ne détermine pas la valeur de notre couple, tant qu'on communique). Le spécialiste estime qu'il est important de savoir que tout n'est pas parfait, et que c'est justement dans ces moments qui font sans doute peu rêver d'un prime abord, que la complicité se construit, que nos relations se solidifient. La routine file de l'urticaire aux flippé·e·s de l'engagement et pourtant, c'est là que tout se joue, que tout s'apprend.
Alors, que faire pour moins se prendre la tête, et normaliser (puis célébrer) des étreintes pour le moins ordinaires ?
C'est peut-être ça, la clé. "Lorsque nous élargissons notre perception du sexe et le considérons comme un terrain de jeu pour être simplement intimes l'un à côté de l'autre ou l'un avec l'autre, alors il y a beaucoup plus à explorer en tant que couple", garantit Assael Romanelli. Le thérapeute martèle d'ailleurs à son tour : "Les rapports sexuels à orgasmes multiples ne doivent pas nécessairement être la référence ou l'exigence minimale pour la satisfaction sexuelle."
A la place, il avise de nouveau de se focaliser sur une "perspective élargie" du coït, qui nous aide à profiter de toute activité sensuelle que l'on partage avec l'autre, "indépendamment de l'acte de jouissance et autres feus d'artifices". Ça passe par la masturbation mutuelle, les confidences sur l'oreiller, les rires étouffées, les jeux en tout genre, les préliminaires... Et de continuer sur ce terrain sans attentes particulières.
C'est de cette façon, en se parcourant l'un·e l'autre sans prétention, en créant un cocon privilégié, en n'envisageant plus ses caresses comme ayant un but indissociable de l'acte, qu'on se connaîtra davantage, qu'on s'épanouira ensemble, qu'on saura ce qui fonctionne ou non. Et qu'on finira même, pourquoi pas, par voir se transformer quelques ébats qui partaient "bof" en "très très bons".