La situation des femmes en Iran a toujours été un bon indicateur de l'ambiance politique qui règne dans le pays. Et la bataille à couteaux tirés qu'elles mènent actuellement contre les autorités n'est pas du meilleur augure. En effet, depuis le virage ultra-conservateur pris par le gouvernement de Rohani, pourtant plus modéré à son arrivée au pouvoir en août 2013 que son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad , les femmes sont devenues la cible privilégié du régime religieux iranien. Le nerf de guerre de cette bataille: le port du hijab, un voile qui couvre la tête et le buste des femmes. Obligatoire depuis la révolution islamique de 1979, le voile est devenu le symbole de l'oppression que subissent les Iraniennes. Et s'y soustraire constitue aujourd'hui pour elles un véritable acte politique.
Il ne faut pas prendre ces histoires de foulard à la légère : porter son hijab de manière trop laxiste (les Iraniennes avaient l'habitude de le porter plus bas sur leurs crânes pour laisser apparaître la racine des cheveux) ou sortir cheveux au vent sont punis par de sévères amendes et des coups de fouet, en cas de récidive. En plus de l'Ershad, la charmante "police de la vertu" en persan, qui fait régner la peur à Téhéran, le gouvernement a mis en place plus de 7 000 indics dans la capitale, habillés en civils et chargés de dénoncer les "mauvais comportements" des femmes qui ne seraient pas correctement voilées. Et cette politique de la terreur ne s'arrête pas là : le gouvernement iranien vient de lancer l'opération "Spider II" qui veut lutter contre la promotion d'un mode de vie occidental, censé corrompre "la jeunesse et les femmes". Selon l'AFP, huit actrices et mannequins iraniennes ont été arrêtés le 16 mai dans le cadre de cette opération pour acte "anti-islamique". Leur crime : avoir posté sur Instagram des photos d'elles dévoilées. La mannequin Elham Arab a été forcée de s'excuser publiquement après son arrestation auprès du Tribunal Révolutionnaire d'Iran. Peu auparavant, Minoo Khaleghi, une femme politique iranienne, avait été écartée du Parlement après avoir été photographié tête nue en Europe et en Chine. Malgré sa victoire aux élections, et ses protestations face à des images "truquées", elle ne pourra pas exercer ses fonctions de députée à cause de l'obligation du voile. Ces exemples sont symptomatiques de la féroce volonté de réduire les femmes au silence et de les contrôler, physiquement comme mentalement.
Pour échapper à ces diktats liberticides, les Iraniennes redoublent d'ingéniosité et d'audace. Et dans une société muselée par la censure, c'est les réseaux sociaux qui se chargent de relayer la lutte secrète de ces femmes. Et en particulier le groupe "My Stealthy Freedom" ("Ma liberté furtive"), devenu le fer de lance de la campagne anti-voile. Ouvert en mai 2014, le groupe compte désormais plus de deux millions de membres. Des Iraniennes se mobilisent pour leur liberté en y publiant des photos d'elles la tête nue. "C'est une grave bataille culturelle entre deux modes de vie", explique au Telegraph Masih Alinejad, fondatrice de "My Stealthy Freedom" et journaliste iranienne exilée à New York. Sur le groupe, la plupart des femmes s'en tiennent à une liberté "furtive", et n'ôtent leurs hijabs que le temps d'un cliché, en signe de soutien à la cause. Mais au fur et à mesure que la répression sévit, le mouvement de protestation s'intensifie : après qu'une femme ait postée d'elle une photo d'elle le crâne rasé pour ne plus avoir à porter le voile, de plus en plus d'Iraniennes trompent la police des moeurs en se travestissant en hommes.
Les cheveux coupés courts, des vêtements masculins, elles expliquent en légende leur volonté de vivre librement et de pouvoir disposer de leurs corps et de leur apparence : "Afin d'échapper à la police des moeurs, j'ai décidé de me couper les cheveux courts et de porter des vêtements d'homme pour que je puisse marcher librement dans les rues d'Iran". Une autre proclame "e suis une fille d'Iran qui a réussi à contourner toutes les restrictions pour pouvoir vivre et choisir librement. [...] Je n'ai pas peur du système, mais eux me craignent visiblement beaucoup". En jeans et en baskets, une coupe à la garçonne et en jean, elle pose fièrement debout sur une main, une démonstration de force risquée qui n'est pas sans nous évoquer l'audacieux combat des femmes qui osent s'élever contre le régime.
"Pour ces femmes, leurs cheveux sont leur identité, et devoir les couper pour se soustraire à la police des moeurs est extrêmement douloureux, mais c'est aussi très courageux", explique Masih Adenijad sur "My Stealthy Freedom". Elle a aussi confié à The Independent son opinion sur ce nouveau phénomène : "Certaines femmes en Iran préfèrent s'habiller secrètement commes des hommes pour éviter le hijab obligatoire et les sanctions de la police des moeurs. Le gouvernement veut créer un sentiment de peur, mais les femmes ont trouvé leur propre moyen de marcher en liberté dans les rues [...] sans se voiler". Et on ne peut que souhaiter que leurs pas les mèneront loin et que les Iraniennes n'auront plus à se déguiser en homme pour disposer des mêmes libertés qu'eux.