"About bloody time !". Le slogan de la dernière campagne du groupe de distribution Tesco ne fait pas dans la dentelle (rappelons que "bloody" signifie "sanguinolent"). Mais le message a le mérite d'être clair : la franchise a décidé de bousculer le marché trop ronronnant des... pansements. Au Royaume-Uni, Tesco se proclame désormais "tout premier supermarché" à proposer des gammes de pansements adaptées à tout type de peau. Un souci de diversité salutaire, alors que la grande majorité des produits écoulés à travers le monde sont transparents.
C'est peut-être un détail pour vous, mais pour bien des consommateurs, ça veut dire beaucoup. En 2018, la journaliste et militante antiraciste Rokhaya Diallo déplorait déjà sur Twitter le caractère monochrome des compresses distribuées sur le marché : des pansements rose pâle destinés à être appliqués sur les peaux blanches. "C'est un souci permanent, de vivre dans un pays qui nous donne le sentiment qu'on n'existe pas, parce que rien n'est pensé pour [les personnes noires]. Ni les pansements, ni les coiffeurs, ni le fond de teint", s'indignait-elle alors.
Un vide vertigineux que comblerait la franchise industrielle ?
C'est en tout cas le but de Tesco, qui se réjouit de proposer des pansements adaptés à trois tons de peau - clair, moyen et foncé - et ce pour une livre sterling seulement, excusez du peu. Paulette Balson, la présidente du réseau interne d'employés BAME at Tesco (employés qui ont d'ailleurs été les tout premiers à expérimenter ces nouveaux produits), soutien largement le projet. Il s'agit, dit-elle, de "mieux servir nos clients de tous les horizons et de toutes les communautés". La directrice voit là l'opportunité pour le groupe international "de faire toute la différence" face à ses concurrents. Mais aussi de rester en phase avec une certaine évolution des mentalités.
Mais cette "évolution" semble malheureusement toute relative. Il n'y qu'à voir les réactions et débats virulents engendrés par les réflexions de Rokhaya Diallo il y a deux ans de cela, alors que la journaliste avait simplement osé interroger cette "limite [de] visibilité de la compresse", critiquant cette standardisation mondialisée des produits tout en évoquant la possibilité d'un "pansement noir" - resté de l'ordre de l'utopie, hélas. Un discours bien trop glosé : on parlait même à l'époque de "SparadrapGate", hashtags à l'appui.
Et en 2020, cette nécessaire réflexion sur le racisme ordinaire et l'inclusion suscite encore les commentaires les plus viscéraux, comme en témoignent les centaines de protestations générées par le spot de campagne de Tesco sur Twitter.
"Un seul mot : pathétique", "Ce monde devient fou", "Je m'identifie comme une laitue, en existe-t-il en vert ?"... Railleries et insultes bien réacs s'accumulent. "Les gens scandalisés parce que Tesco vendent des pansements dans une gamme de tons différents sont probablement ceux que je comprends le moins au monde. Qu'est-ce qui ne va pas avec vous ?", s'indigne en retour une internaute.
Si les mots de Nicola Robinson, directrice de la santé, de la beauté et du bien-être chez Tesco, sont moins incisifs, elle insiste elle aussi sur l'importance de proposer un tel panel de compresses. "Grâce aux recherches effectuées sur nos réseaux, nous savons à quel point un produit comme celui-ci peut être important. Par exemple, un collègue nous a déjà raconté que son enfant s'était senti gêné de porter un pansement sur le visage car celui-ci ne correspondait pas du tout à son teint", s'attriste celle pour qui cette nouvelle gamme de produits n'a absolument rien d'anecdotique. Non, il s'agit "de répondre au mieux aux besoins du client".
Une réponse très pragmatique, qui devrait clouer le bec de bien des internautes énervés... A quand la même initiative en France ?