Terrafemina : Pourquoi la Suède est-elle considérée comme une modèle en matière d’égalité hommes-femmes ?
Nathalie Morel : La Suède a mis en place, dès les années 1970, une politique de conciliation vie familiale-vie professionnelle très généreuse et qui, dès le départ a cherché à poursuivre deux objectifs : d’une part, soutenir l’emploi des mères, et plus généralement des femmes, par le développement de services publics et universels de qualité pour la prise en charge des jeunes enfants et des personnes âgées dépendantes ; et d’autre part à rééquilibrer la division des tâches dans la sphère familiale en mettant en place un congé parental généreux (13 mois indemnisés à 80% de son salaire, dans la limite d’un plafond de 3 600 euros), dont deux mois sont réservés au père. C’est notamment sur ce deuxième volet que la Suède (ainsi que la Norvège) se démarque, les politiques de conciliation menées dans les autres pays ne visant que le soutien à l’emploi des mères, sans chercher à modifier les inégalités hommes-femmes dans la sphère privée.
N. M. : De fait, l’investissement des pères dans l’éducation et les soins aux jeunes enfants est largement supérieur à ce que l’on retrouve dans d’autres pays : 90% des pères prennent un congé parental, pour une durée moyenne d’environ trois mois et demi. Pour autant, la répartition du congé parental entre les mères et les pères demeure encore très inégalitaire, les hommes prenant un peu plus d’un cinquième du congé disponible, contre presque 4/5e pour les mères.
Par ailleurs, la flexibilisation pour les employés des horaires de travail, la possibilité de réduire son temps de travail ou encore les mesures menées pour changer les mentalités sur le lieu de travail contribuent également à permettre non seulement aux mères, mais aussi aux pères, de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, et à réduire les différences entre hommes et femmes sur le lieu de travail. En découle des taux d’emploi des femmes, y compris des mères quel que soit le nombre d’enfants, quasi identiques à ceux des hommes, avec peu de temps partiel (et qui plus est un temps partiel long). Ainsi, contrairement aux autres pays, le taux de participation des femmes au marché du travail reste au-dessus de 60% même lorsqu’il est calculé en équivalent taux plein.
N. M. : La France dépense beaucoup en matière de politique familiale, quasiment autant que la Suède (autours de 3% de PIB dans les deux cas). La question du surcoût que représenterait l’adoption du modèle suédois n’est donc pas un véritable problème, la question est plutôt celle de la réorientation des dépenses, notamment de façon à mettre en place des congés parentaux mieux rémunérés mais plus courts. L’exemple de la Suède comme de la Norvège démontrent en outre la nécessité de mettre en œuvre des incitations (sous forme de quotas) pour les pères, un système de congé parental généreux n’étant pas suffisant en soi pour inciter un plus grand investissement parental.
L’exemple de l’Allemagne témoigne de la transposabilité de ce système dans des pays avec des modèles sociaux à l’origine très éloignés : alors que l’Allemagne avait pendant longtemps un système de congé parental similaire à celui de la France, celle-ci a introduit une large réforme en 2007 réduisant la durée du congé à 12 mois, mais en passant par la même occasion d’un mode d’indemnisation forfaitaire à une indemnisation équivalente à 67% de son salaire, dans la limite d’un plafond de 1 800 euros/mois. Cette réforme a par ailleurs introduit un bonus de 2 mois de congé, si le père prend une partie du congé parental. Néanmoins, la question de la transformation des pratiques sur le lieu de travail s’impose également : en Suède, les horaires de travail sont mieux articulés aux obligations familiales, avec une plus grande flexibilité horaire pour les employés, et certaines pratiques telles que les réunions organisées après 17 heures tendent à être proscrites…
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