Autrefois majoritairement masculin, le secteur des sciences et des technologies est-il enfin sur le point de s'ouvrir durablement aux femmes ? Alors que les formations scientifiques et techniques ont accueilli 14% d'étudiantes supplémentaires en 2012, paraissent ce lundi 8 septembre les résultats de l'enquête MutationnElles 2014. Réalisée depuis 2008 par Global Contact, cette vaste étude annuelle nationale s'intéresse à la place réservée aux femmes dans les filières scientifiques et techniques. Montrant que leur féminisation renforce l'employabilité des femmes sur le marché du travail, l'enquête MutationnElles met aussi en lumière les stéréotypes de genre qui conditionnent encore grandement les choix d'orientation des filles. Quels sont les ressorts cachés de cette féminisation des filières techniques et scientifiques ? Quel impact ont-ils sur l'accès à l'emploi des femmes ? Décryptage.
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Dans le domaine des sciences et des technologies, 2014 est pourtant une année charnière. Si depuis plusieurs années, les chiffres montraient un désintéressement croissant des filles pour les filières scientifiques et techniques, l'enquête MutationnElles réalisée l'an dernier donnait enfin des signes encourageants. Sur les trois dernières années en effet, 2,5% d'élèves et d'étudiantes supplémentaires ont été enregistrées dans les formations scientifiques et techniques.
S'il est encore trop tôt pour parler d'une tendance durable, la 6e édition de l'étude MutationnElles, permet d'observer que ce regain d'intérêt des femmes pour les formations scientifiques et techniques se poursuit. Signe encourageant, l’augmentation de 11% de la proportion de filles qui choisissent une option scientifique dès la seconde. Les années à venir permettront de vérifier comment cela se traduit ensuite en 1ère, Terminale. Cette féminisation progressive s'observe aussi dans les filières d'apprentissage technique, mais dans une proportion bien moins importante : si le nombre de filles a augmenté de 13% ces trois dernières années, les étudiantes continuent de représenter moins de 10% de l'effectif total.
Demeure néanmoins un problème de taille à la féminisation de ces formations : l'enquête MutationnElles montre en effet que cette proportion de filles s'orientant vers les filières scientifiques et techniques chute de façon vertigineuse à l'entrée dans l'enseignement supérieur. Alors qu'elles représentent près de la moitié des terminales scientifiques et techniques, elles ne sont plus qu'un tiers à poursuivre des études dans cette voie une fois leur bac en poche. Et ce, malgré une légère reprise de la féminisation des formations scientifiques et techniques supérieures observée depuis 2008.
Surtout, l'enquête MutationnElles 2014 montre qu'à l'heure de faire leurs choix d'orientation, les jeunes femmes intéressées par les options scientifiques et techniques restent conditionnées par des stéréotypes de genre. Dès le lycée, dans des filières professionnelles, elles ne sont que 10 à 15% à s'orienter vers les options sciences de l'ingénieur, tandis qu'elles représentent 90% des effectifs des options santé, social et biotechnologies. Le même constat est observé chez les terminales généralistes et technologiques, où les filles choisissent les options de sciences et vie de la terre, santé et social au détriment des filières de « sciences dures » qui restent trustées par les garçons. Le phénomène est encore plus poussé dans les CAP : dans les filières de production, 90% des jeunes filles choisissent l'habillement ; dans les filières de services, elles sont 95% à étudier le travail social, la coiffure et l'esthétique.
Ces choix sexués se répercutent aussi l'enseignement supérieur : aujourd'hui, encore trop peu d'étudiantes en IUT s'orientent vers des études d'ingénieur, quand elles sont près de la moitié à choisir d'étudier la chimie, l'agro-alimentaire ou la santé.
Comment expliquer cette tendance lourde des étudiantes à s'orienter vers des filières traditionnellement non-mixtes ? Attirées par les options du « look » (textile, habillement) ou du « care » (santé, sciences de la vie), les jeunes femmes délaissent les métiers de la production et de l'industrie au profit de secteurs majoritairement féminins. Or, ces choix d'orientation ont un impact significatif sur leur accès à l'emploi. Offrant moins de débouchés, ils réduisent et diffèrent l'entrée des femmes sur le marché du travail et s'avèrent moins porteurs en termes d'emploi et de rémunération.
Pour Claudine Schmuck, auteure de l'étude MutationnElles, l'école, l'environnement familial et les loisirs renforcent, chacun à leur manière, les comportements dominés par les stéréotypes. L’étude 2014 met en évidence les ressorts cachés qui conduisent les filles à faire des choix d’orientation qui sont plus motivés par leur intérêt pour la matière étudiée que par la prise en compte du métier qu’elles exerceront, où bien les débouchés existants.
Le problème étant que ces processus de choix sont si « déconnectés » de la réalité, qu’on en arrive à ce paradoxe surprenant, des jeunes femmes qui ont choisi de s’orienter vers les sciences et technologies quittent ensuite ces études ou ces métiers. Ainsi, de nombreuses jeunes femmes ayant choisi des formations techniques de niveau BTS ou DUT (mécanique, électricité, métallurgie, informatique) finissent par abandonner leur formation en cours de route. Elles se heurtent à une réalité professionnelle plus difficile qu'elles ne l'avaient imaginé, notamment en raison de la persistance de comportements sexistes. Déçues, parfois peu soutenues par leur entourage, elles se réorientent et se tournent alors vers des spécialisations féminines et moins créatrices d'emploi.
C'est pourquoi il est primordial de poursuivre les efforts engagés pour créer des conditions favorables à un rapprochement des femmes et filles des métiers scientifiques et techniques ancré dans la réalité, insiste l'étude.
Pourtant, insiste l'enquête MutationnElles 2014, considérer ces choix d'orientation encore trop stéréotypés comme une fatalité serait une erreur. Depuis 2013 en effet, l'engagement des pouvoirs publics s'est nettement renforcé pour promouvoir l'égalité filles/garçons. Claudine Schmuck cite notamment le plan de formation et d’information des enseignants engagé en 2013, et la loi du 4 août.
Surtout, l'étude met en lumière l'influence positive de la crise économique sur les choix d'orientation des femmes de moins de 30 ans. Alors que chez les plus de 45 ans, c'est le goût pour les matières étudiées qui primait au moment de choisir leur voie professionnelle, les jeunes - filles comme garçons- prennent aujourd'hui beaucoup plus en compte l'existence des débouchés au moment de leur choix d'orientation. Pour Claudine Schmuck l’une des actions clés à engager est l’information et la sensibilisation des parents afin qu’ils aient les moyens de mieux épauler leurs enfants.
Plus de 45 ans … … moins de 30 ans
L'étude MutationnElles™ est réalisée par le cabinet Global Contact pour Orange depuis 6 ans. Elle porte sur les femmes dans les sciences et technologies en France. Cette étude est produite à partir de l'analyse comparative d'extraction de données (pour partie exclusives), d'origine publiques (Eurostat, INSEE, Ministère de l'Éducation Nationale) et privées, dont l'enquête Mutationnelle™ online (1 200 participants), et celle de l'IESF. C'est l'une des premières à mettre en perspective le parcours complet des femmes dans les sciences et technologies, depuis la formation (secondaire, enseignement supérieure), jusqu'à l'entrée sur le marché de travail et la vie professionnelle.
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