À celui des mots. L’écrivain aide à décrypter un présent où l’on ne comprend plus rien, trop plongé que nous sommes dans l’ère du message et de l’information immédiate. C’est le dernier espace d’expression à peu près libre, là où la contrainte du diffuseur, de l’annonceur est le moins fort. Or, cet espace-là, me semble-t-il, n’a jamais été aussi peu valorisé.
Pour être visible, l’écrivain n’a pas d’autre choix que d’être actif dans l’arène médiatique malgré toute la violence qu’elle créée, celle d’exiger de lui pour que son travail soit lu ou connu, un véritable positionnement, une image qui ne correspond pas forcément à ce qu’il est. C’est une concession parfois douloureuse pour quelqu’un dont le travail s’appuie souvent sur une exigence et une solitude absolues.
De surcroît, la médiatisation freine le renouvellement de la pensée intellectuelle notamment en France : beaucoup d’auteurs n’arrivent pas à franchir ses exigences alors qu’ils ont des choses essentielles à nous dire. S’il existe beaucoup d’outils pour se faire entendre, ils sont encore peu utilisés et la plupart sont sans modèles économiques viables. L’écrivain doit s’appuyer sur d’autres activités, conférences ou débats, pour vivre, ce qui l’éloigne de son travail d’écriture initial ! C’est aussi cela le paradoxe de l’écrivain, créateur de son texte, entrepreneur de lui-même, dans un océan de bruits dans lequel on n’entend plus rien.
J’aime les livres qui racontent quelque chose de notre temps, qui mettent des mots sur ce que l’on ressent. J’en ai peur autant que j’y aspire. C’est l’éditeur – bien avant le lecteur – qui fait qu’un texte devient un livre. La discussion autour du texte, les allers retours pour le rendre accessible, permettent d’échapper au triomphe de soi pour aller vers les lecteurs.
Le pouvoir de la culture est un travail d’équipe. Chaque auteur valorise quelque chose de différent avec son éditeur. Il lui faut être convaincu de travailler avec les meilleurs pour donner le meilleur de soi.
L’art a toujours anticipé l’évolution sociale et politique. Dans des moments comme ceux que l’on traverse, il faut descendre dans l’arène. Sortir d’un rapport ‘top down’ à la culture comme diraient les anglo-saxons, où le haut dicte ce qui est bon au bas. J’essaye d’aller vers les jeunes lecteurs, dans les classes au-devant ceux qui a priori ne connaissent rien de vous et de la lecture. C’est magique de les ouvrir à ce qu’est un livre et que l’on émerveille. Un enfant qui lit sera un adulte qui pense.
Rien ne me fait plus plaisir et ne m’encourage plus qu’un élève -après une lecture imposée par son professeur – qui me dit avoir découvert quelque chose. L’écriture reste une aventure humaine, avec cette capacité à rassembler des gens qui n’auraient jamais dû se connaître. Cette dimension me permet de continuer d’écrire.
6ème édition des Rencontres Internationales du Forum d’Avignon, 21 au 23 novembre 2013 au Palais des papes à Avignon.